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L'EMPRUNT DE COMMERCIALITE EN DROIT OHADA

L'emprunt de commercialité est comme son nom l'indique le procédé par lequel un acte qui normalement est par nature civile, s'imprègne du caractère commercial, en raison de la qualité de commerçant de celui qui l'a passé ainsi que de sa finalité. En d'autres termes, c'est la commercialité par accessoire.

Un acte à caractère civil est parfois qualifié d'acte de commerce parce qu'il se rattache à un acte de commerce ou qu'il est accompli par un commerçant.

L'acte à caractère civil accompli par un commerçant dans l'exercice de son commerce est considéré comme un acte de commerce.

1- Conditions de l'emprunt de commercialité

a- Qualité de commerçant de l'auteur de l'acte :

-L'emprunt de commercialité nécessite que l'acte soit accompli par un commerçant. Il suffit cependant qu'une seule des parties à l'acte ait cette qualité (Req. 28 janv. 1878, DP 1878. 1. 462).

-Par ailleurs, non seulement le premier acte du commerçant pourra être qualifié d'acte de commerce, mais les actes qu'il accomplit pour son activité commerciale future pourront eux aussi être qualifiés d'actes de commerce, à condition qu'il devienne effectivement commerçant (Com. 19 juin 1972, JCP 1973. II. 17356 ; 15 oct. 1968, Bull. civ. IV, no 240).

-De manière générale, les actes accomplis par des sociétés commerciales par la forme ont le caractère commercial (Com. 18 févr. 1975, Bull. civ. IV, no 48 ; 10 juill. 2007, no 06-16.548 , D. 2007, AJ 2041, obs. A. Lienhard , Bull. Joly 2007. 1242, note D. Poracchia).

-Le bail conclu par une société anonyme pour loger un de ses dirigeants est un bail commercial (Soc. 8 févr. 1961, D. 1961. 219 ; Civ. 3e, 18 mars 1974, Bull. civ. III, no 130 ; V. Bail commercial [Com., Civ.]).

b- Rattachement à l'activité commerciale

L'emprunt de commercialité ne peut se réaliser que si l'acte est accompli dans le cadre de l'activité commerciale.

-L'achat d'un yacht par un commerçant pour un usage familial est par exemple un acte civil, quand l'acquisition de la même embarcation pour faciliter son commerce serait un acte de commerce(CA Aix, 8 juill. 1947, D. 1947. 456).

-Par extension, les actes conclus dans le dessein d'entreprendre une activité commerciale, si cette finalité s'accomplit, sont des actes de commerce (Com. 19 juin 1972, JCP 1973. II. 17356 ; 15 oct. 1968, Bull. civ. IV, no 240).

2- Domaine de l'emprunt de commercialité

a- Contrats

Au-delà de la liste légale :

Potentiellement, tout acte ou tout fait civil peut emprunter sa commercialité à l'activité du commerçant.

-Ainsi, les contrats passés par le commerçant sont des actes de commerce au-delà de l'énumération de l’article 3 de l’AUDCG.

-Le contrat de mandat donné par un commerçant à un agent d'affaires pour lui procurer un fonds de commerce, qui ne relève pas de l'énumération légale (V. supra, no 62), sera par exemple qualifié d'acte de commerce (Req. 12 déc. 1911, D. 1913. 1. 129).

-De même, le prêt consenti au commerçant pour l'intérêt de son commerce est-il commercial (Civ. 30 juill. 1907, D. 1908. 1. 61),

-Tout comme le prêt qu'il consent dans l'intérêt de ce même commerce (Req. 31 oct. 1922, S. 1924. 1. 22).

-Le contrat de travail, même s'il demeure gouverné par le droit du travail, est également un contrat commercial pour l'employeur commerçant (Civ. 11 avr. 1923, DH 1928. 138 ; Soc. 9 févr. 1962, Gaz. Pal. 1962. 1. 350).

-Enfin, pour clore cette série d'exemples, relevons que le contrat d'assurance est considéré comme étant commercial par nature pour l'assureur lorsqu'il est conclu par l'assuré pour les besoins de son commerce (Civ. 24 janv. 1865, DP 1865. 1. 72 ; adde : V. supra, no 85).

b- Obligations non contractuelles

Ce texte invite ainsi à faire déborder l'acte de commerce des contrats. De fait, l'extension de la commercialité ne s'arrête pas aux actes juridiques (C. GIVERDON, Les délits et quasi-délits commis par le commerçant dans l'exercice de son commerce, RTD com. 1953. 855).

Elle porte également sur les obligations qui se forment sans convention lorsqu'elles dérivent de faits qui sont commis par le commerçant ou les personnes dont il doit répondre et se rattachent à l'exercice de son commerce (Req. 11 juill. 1900, D. 1900. 1. 508)

- Obligations légales

Certaines obligations légales peuvent prendre une qualification commerciale. Encore cette idée ne s'impose-t-elle pas sans résistance : certaines obligations paraissent en effet impossibles à rattacher, même par accessoire, à l'activité commerciale.

-Il en va ainsi des dettes dont le commerçant est tenu à l'égard du Trésor, même en raison de son activité commerciale (Com. 17 mars 1958, Bull. civ. IV, no 122, JCP 1959. II. 10915, note J. Nectoux). En ce cas, la dette est considérée comme l'expression, non d'une obligation du commerçant, mais d'un devoir du citoyen (R. HOUIN, RTD com. 1953. 192).

-L'obligation légale d'affiliation d'une société à une caisse de congés payés est commerciale, pour des raisons similaires (Soc. 10 nov. 1971, D. 1972, somm. 70).

- Quasi-contrats

Les « quasi-contrats » peuvent être qualifiés d'actes de commerce (Com. 7 avr. 1967, Bull. civ. IV, no 125). Il a ainsi été jugé, sur le terrain de l'enrichissement sans cause, que la dette d'une société envers la victime d'une spoliation, portant tant sur la restitution des fruits résultant de l'exploitation du fonds par la société à la suite de la spoliation que sur le remboursement des frais de remise en état de ce fonds, était de nature commerciale (Com. 21 avr. 1955, Bull. civ. III, no 125).

- Délits et quasi-délits

Les obligations d'ordre délictuel ou quasi délictuel peuvent être qualifiées d'actes de commerce.

-Sans doute, peut-on comprendre que la concurrence déloyale puisse être considérée comme une faute commise dans l'exercice du commerce (Req. 8 mars 1904, DP 1908. 5. 59 ; CA Paris, 19 févr. 1960, RTD com. 1961. 333, obs. A. Jauffret ; 5 mai 1960, D. 1961. 64, note R. Lindon ; Com. 7 févr. 1967, D. 1968. 61, note J. Calais-Auloy).

-De même, il est assez facile d'admettre que l'obligation résultant pour un commerçant d'imputation injurieuse à l'égard d'un autre soit commerciale (CA Douai, 18 mars 1964, RTD com. 1965. 82, obs. A. Jauffret).

-Voire ! Il n'est pas incohérent que le délit consistant à fournir sciemment des renseignements soit, pour une agence de renseignements, un acte de commerce(Req. 5 août 1875, DP 1877. 1. 325).

La jurisprudence a cependant admis assez rapidement que la faute puisse se rapporter à l'exercice du commerce, quand bien même le dommage causé aurait été corporel (Req. 21 juill. 1936, Gaz. Pal. 1936. 2. 609). En l'espèce, l'automobile d'un commerçant était entrée en collision avec un cycliste : la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre l'arrêt ayant admis le caractère commercial de l'obligation du propriétaire du véhicule – tenu à l'époque par application de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil – et a approuvé les juges du fond d'avoir fait application de la présomption suivant laquelle les actes accomplis par un commerçant sont réputés commerciaux. Cette solution se comprend, la nature du préjudice n'étant pas, sauf texte spécifique, de nature à rejaillir sur la compétence des tribunaux.

-L'obligation de réparer découlant de la responsabilité des commettants du fait des préposés (T. com. Seine, 22 juin 1951, D. 1951, somm. 78)ou du fait des choses qu'ils ont sous leur garde (Req. 11 déc. 1944, D. 1945. 213, note G. Gabolde) ou encore du fait des produits défectueux peut également être considérée comme un acte de commerce.

3- Résistance à l'emprunt de commercialité

*Résistance légale : La loi restreint parfois l'assimilation de l'acte à caractère civil à un acte de commerce. Les conflits individuels relatifs aux contrats de travail sont ainsi de la compétence exclusive du tribunal du travail après saisine préalable de l'inspecteur du travail, quand bien même le contrat est un acte de commerce pour le commerçant.

Article 81.2 du code du travail ivoirien : Tout différend individuel du travail est soumis, avant toute saisine du tribunal du travail, à l’Inspecteur du Travail et des Lois Sociales pour tentative de règlement amiable.

Article 81.8 : Les Tribunaux du Travail connaissent les différends individuels pouvant s’élever à l’occasion du contrat de travail ou d’apprentissage, y compris les accidents du travail et les maladies professionnelles entre les travailleurs ou apprentis et leurs employeurs ou maîtres.

Ces Tribunaux ont également qualité pour se prononcer sur tous les différends individuels relatifs à la validité et l’exécution des Conventions Collectives et règlements en tenant lieu. Leur compétence s’étend également aux litiges entre travailleurs ou apprentis à l’occasion des contrats de travail ou d’apprentissage.

Article 81.9 : Le Président du Tribunal du Travail est Juge des référés en matière de conflits individuels du travail. Il est assisté d’un Greffier.

Les limites à l'emprunt de commercialité ne doivent pas être exagérées : la commercialité ne se réduit pas à la compétence des tribunaux de commerce. L'emprunt de commercialité peut aussi produire ses effets sur le seul terrain de la preuve ou de la prescription.

*Actes civils par nature

Certains actes à caractère civil sont rétifs à emprunter leur commercialité à l'activité du commerçant : on parle parfois « d'actes civils par nature ».

-Les contrats de mariage et les conventions de partage de succession ou de communauté sont évidemment des actes nécessairement civils.

-La résistance à la commercialité peut également dépendre de la finalité de l'acte : le caractère civil de l'acte vient alors de ce que les finalités de l'activité commerciale ne s'y incarnent pas. L'acte à titre gratuit conserve ainsi son caractère civil, dès lors que l'activité commerciale implique une intention lucrative : une donation ne peut être un acte de commerce, pas plus qu'un transport bénévole(Civ. 25 oct. 1921, S. 1922. 1. 278). On peut toutefois imaginer qu'une donation s'inscrive dans le cadre d'une activité commerciale et constitue par exemple un « geste commercial ». L'intention n'est plus libérale : la qualification d'acte de commerce par accessoire n'est plus exclue, dans la mesure où l'acte n'est pas accompli sans intention spéculative.