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L'INCRIMINATION DU MEURTRE (Eléments constitutifs)

C’est le fait de donner volontairement la mort à autrui.

Outre son élément légal (art. 378-1°), l’infraction se caractérise par son élément matériel et son élément moral.

A/ L’élément matériel du meurtre

La caractérisation de l’élément matériel du meurtre repose sur la démonstration de trois composantes : un comportement, un résultat et un lien de causalité entre les deux.

1) Le comportement ou l’acte illicite

Le code pénal définissant le meurtre comme « l’homicide commis », celui-ci ne peut résulter que d’actes positifs. Les moyens employés pour parvenir au résultat mortels sont nécessairement des actes de commission. Le défaut d’acte positif se traduira ainsi par le rejet de la qualification.

Il en résulte que le meurtre est une infraction de commission qui nécessite la preuve d’un acte positif pour être constituée. Laisser mourir une personne en restant inactif peut éventuellement être qualifié d’omission de porter secours, non de meurtre.

Il n’est pas important que l’acte matériel physique soit un acte unique : il peut se traduire, soit par un acte unique (ex : coup de revolver), soit par des actes multiples (ex : plusieurs coups de poings assénés dans le but de provoquer la mort) qui peuvent s’échelonner dans le temps (Ex. Lapider une personne pendant un temps plus ou moins long en vue de lui donner la mort).

2) Le résultat illicite : le décès

Le résultat est la mort d’autrui. C’est en cela que le meurtre est une infraction matérielle qui suppose un résultat.

Pour que le meurtre soit constitué, il faut de première part, une victime vivante au moment du geste homicide. Cela signifie qu’elle doit être vivante au moment des faits. A défaut, le juge devra appliquer aux faits en question une autre qualification.

Cet élément constitutif a donné naissance à la controverse sur la répression de l’infraction impossible : peux-t-on tuer un cadavre ?

L’exigence d’une personne vivante pour qu’il y ait meurtre, soulève une autre difficulté, celle de savoir à partir de quand s’agit-il de personne vivante ? C’est notamment le problème juridique épineux de la perte du fœtus.

Le résultat, c’est, de seconde part, la mort d’autrui. Autrui, implique une personne différente du meurtrier. Le meurtre de soi-même n’est donc pas punissable en droit ivoirien.

Il convient de noter que le consentement de la victime ne justifie pas l’infraction de meurtre (cas du meurtre su demande, cas de l’euthanasie) ; en droit positif ivoirien, il n’est pas un fait justificatif.

L’erreur sur la victime est totalement indifférente : c’est la question de l’aberratio ictus ("error personae"). En effet, la détermination de la personne tuée est sans incidence sur la nature de l’infraction, l’identité de la personne importe peu; elle ne constitue pas un élément de l’infraction. : « L'homicide ou les coups et blessures volontaires ne changent pas de nature lorsque la victime n'est pas la personne que l'auteur se proposait d'atteindre » (Article 388).

Ainsi, Celui qui se trompe de victime, ne réalisant sa méprise que trop tard, commet bien un meurtre. De même, celui qui tire sur A mais atteint B en raison, par exemple, de sa maladresse, sera condamné pour meurtre, comme s’il avait atteint son but initial.

Dans ce cas de figure d’erreur sur la personne ("error personae") (le meurtrier a tué A, le prenant pour B) le meurtre est constitué à l’égard de la victime, l’auteur peut même être poursuivi pour tentative à l’égard de la personne manquée.

3) Le lien de causalité

L’élément matériel de l’homicide volontaire n’est caractérisé que dans la mesure où un lien de cause à effet unissant de manière certaine le comportement prohibé au résultat survenu peut être constaté.

Ainsi, il n'y a pas meurtre si, à la vue d'un malfaiteur armé d'un revolver et le braquant sur elle, la victime, prise de frayeur, meurt d'une rupture d'anévrisme.

Le lien de causalité est problématique lorsque plusieurs personnes ont participé ensemble à une activité meurtrière, comme par exemple, un ensemble de tirs avec une arme à feu. Pour chaque participant on devrait alors vérifier élément constitutif : acte d’homicide, résultat, et lien.

Cependant, ce lien est difficile à établir, car on ne sait pas, parmi la pluralité de coups, lequel fut mortel, ou le première balle a pu être mortelle etc. C’est pourquoi, dans ce genre d’hypothèse, les juges présument le lien de causalité « Théorie des scènes uniques de violence » : il revient au participant de prouver que son coup n’a pas été mortel.

B/ L’élément moral du meurtre

Le meurtre est une infraction intentionnelle. Le meurtre suppose donc au-delà du dol criminel, un dol spécial pour emporter la répression : c’est l’animus necandi, c'est-à-dire, la volonté de donner la mort.

L’intention requise suppose non seulement que la personne ait eu la volonté de l’acte positif (par exemple : appuyer sur la gâchette du revolver) mais aussi qu’elle ait agi dans l’intention de tuer. Autrement dit, les moyens déployés par l’auteur du crime doivent être tendus vers ce but, la mort de la victime, et non simplement viser à la blesser ou lui faire peur.

En l’absence de ce dol spécifique, la qualification va changer et on peut se trouver soit en présence d’un homicide involontaire, soit en présence de coups et violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner (art. 381-1° cp).


 
Prouver l’intention de tuer est particulièrement difficile. La preuve doit normalement être établie par le ministère public.

Faute d’aveu, la preuve de l’élément moral se fait généralement de manière indirecte, par déduction sur la base des éléments matériels entourant l’infraction.

A partir du moment où la volonté est prouvée, peu importe le mobile, le consentement de la victime ou l’erreur.

Les mobiles sont indifférents dans la caractérisation du meurtre : que l’on tue par profit, par jalousie, par défi ou encore pour abréger des souffrances, le meurtre est constitué dès lors que la volonté de donner la mort est démontrée, sans qu’il y ait lieu de distinguer. Le mobile n’entre pas dans la qualification morale de l’infraction, conformément à l’art. 95 cp.

De même, le consentement de la victime est sans incidence sur le meurtre. Ainsi, l’assistance active au suicide et l’euthanasie restent des meurtres.

Seuls les faits justificatifs reconnus par la loi peuvent effacer l’élément intentionnel.

§ 2 - La répression du meurtre

Il convient de distinguer l’homicide (meurtre) simple des meurtres aggravés.

A/ Le meurtre ordinaire

Il est puni à l’article 384 par une peine d’emprisonnement allant de dix (10) à vingt (20) ans.

L’article 387 cp énumère des peines complémentaires qui peuvent être également prononcées par le juge, la privation de certains droits (art. 68 cp) ( Ex : être nommé aux emplois de l’administration et autres fonctions publiques…), la déchéance de la puissance paternelle).

Des mesures de sûreté peuvent être aussi prononcées, telles l’interdiction de paraître en certains lieux (art. 80 cp), ou l’interdiction de séjour (art. 82 cp) etc.

Le meurtrier peut invoquer l’excuse d’atténuation tirée de la provocation prévue à l’article 115 cp et bénéficier ainsi d’une réduction du montant de sa peine, conformément aux prescriptions de l’article 111 cp. La peine privative de liberté est ainsi remplacée par une peine privative de liberté de six mois à cinq ans.

Enfin, conformément au droit commun, par le jeu des circonstances atténuantes, la peine du meurtrier peut être réduite de un à trois ans d'emprisonnement (art. 114/115 cp).

B/ Le meurtre aggravé

La peine d’emprisonnement à 20 ans est commuée en peine de l’emprisonnement à vie lorsque le meurtre est aggravé.

Aux termes de l’article 380 al. 2 cp, le meurtre est aggravé dans cinq (5) circonstances :

1) En cas de concomitance avec un autre crime

Aux termes de l’article 380 al. 1-1°, le meurtre est aggravé lorsqu’il précède, accompagne ou suit un autre crime).

L’aggravation tient donc à la pluralité des infractions. Chacune des trois circonstances aggravantes prévues au texte suffit à caractériser à elle seule la circonstance aggravante (Crim. 5 oct. 1967, BC 201). Par exemple, le délinquant viole une femme et tue le gendarme qui vient l’arrêter.

La jurisprudence exige la réunion de deux conditions afin que cette cause d’aggravation opère :

- il faut que les infractions en concours soient concomitantes, c’est-à-dire, commises simultanément au meurtre ; elles doivent se dérouler dans le même espace-temps, être comprises dans la même volonté criminelle ou coupable. Il n'y aurait pas de concomitance si les crimes avaient été séparés par un laps de temps appréciable (crim. 14 janv. 1954, B.C. 14). Par exemple, l’aggravation n’est pas encourue, lorsque l’accusé, au lendemain de la commission de son crime, tue dans une autre localité, son complice.

- il faut que l’infraction concomitante au meurtre soit un crime ou une tentative de crime. Ainsi l’aggravation n’est pas encourue si l’infraction qui accompagne le meurtre est un délit. Il en est de même, s’il s’agit d’un acte unique au cours duquel l’auteur a tué deux victimes. Ainsi, on ne pourrait pas retenir comme circonstance aggravante, le fait que d'un seul coup de fusil, l'accusé aurait tué deux personnes (crim. 6 juin 1878, S 80, 1, 221).

2) La connexité (corrélation) du meurtre avec un délit

Prévue par l’article 380 al. 2-3° CP, la connexité avec un délit aggrave le meurtre, lorsqu'il (le meurtre) a eu pour objet, soit de préparer, faciliter ou exécuter un délit, soit de favoriser la fuite ou d'assurer l'impunité des auteurs ou complices de ce délit.

Dans ce cas de figure, le meurtre est connexe, c’est-à-dire qu’il n’est pas forcément commis en même temps que le délit (et non concomitant), mais les deux infractions doivent faire l’objet d’un plan d’ensemble. Ex. le meurtre commis pour faciliter un vol exécuté plusieurs jours après (Crim 16 mai 1863, D. 66, 5, 542).

Ainsi, un dol spécial est exigé : il faut que le meurtre commis ait eu pour but l’un de ceux mentionnés au texte.

Le problème soulevé par ce texte, est que l’incrimination vise le délit et non pas le crime.

Ecartant une interprétation littérale du texte qui conduirait à une absurdité, la jurisprudence a considéré que cela s’applique également quand le meurtre est connexe à un crime. Elle a même considéré que cela peut s’appliquer que le meurtre et le délit aient été, ou non, commis par un même auteur (ou par différentes auteurs ; lorsque le délit est prescrit, simplement tenté (Ex. : un malfaiteur qui, surpris au moment où il se dispose à commettre un vol, tue le témoin) ; ou même couvert par l’impunité familiale.

3) L’aggravation liée aux modalités de commission du crime

L’article 380 al. 2-3° dispose que le meurtre est aggravé lorsque les actes matériels d’accomplissement du meurtre sont des actes de torture ou actes de barbarie.

Le nouveau code pénal, en ses articles 399 et 400, contient désormais une définition des notions d'actes de torture et de barbarie, qui faute de définition légale, étaient laissées à l'appréciation des juges du fond, sans qu'il y ait lieu semble-t-il de distinguer entre les deux.

En substance, ces modalités de commission de meurtre s’'appliquent à des actes de violence d'une particulière gravité, ceux par lesquels «le coupable extériorise une cruauté, une sauvagerie, une perversité qui soulèvent une horreur et une réprobation générale (A. Vitu: Rev sc. crim. 1992, p. 71).

Tels, par exemple, l'acharnement du coupable (Cass. crim. 13 sept 1986: Gaz. Pal. 1987, somm. 102 obs.Doucet) ou d'actes tels que coups, violences et introduction d'un bâton dans l'anus (Cass. crirn. 9 déc. 1993: Bull crim. N°383), le fait de flageller de manière répétée les pieds de la victime, l'obliger à ingurgiter une grande quantité d'eau salée, lui serrer la gorge avec vigueur, lui enfoncer une serviette dans la bouche et la contraindre à plusieurs reprises à plonger la tête dans une bassine d'eau, sans se préoccuper de ses cris, de ses plaintes ou de ses souffrances, sans s'inquiéter davantage du sang qui coulait de sa bouche et de son nez, ni de son visage qui devenait bleu (Crim. 3 sept. 1996, Droit Pénal 1997, Somm. N°4).

Et selon la jurisprudence constante, le mobile qui peut animer l’auteur des actes de torture ou de barbarie ne peut ôter à ses actes leur caractère d'actes de torture et de barbarie (dans le cas d’espèce, les convictions religieuses : exorciser la victime, chasser le démon en elle).

4) L’aggravation tenant à la qualité de la victime ou de l’auteur du meurtre

L’article 380 al.2-4 établit une liste de personnes dont le meurtre est plus sévèrement réprimé.

Est un meurtre aggravé le meurtre commis sur un mineur de 15 ans ou sur une personne particulièrement vulnérable en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une grossesse ou une déficience quelconque, mais encore sur toute autre personne ayant un lien de dépendance avec l’auteur du meurtre (ce peut être par exemple, un enseignant).

Constituent également des causes d’aggravation du meurtre, le fait de tuer le conjoint ou le concubin.

De même, le meurtre sera aussi aggravé s’il est perpétré par l’ancien conjoint ou l’ancien concubin dès lors qu’il l’a été en raison des relations ayant existé entre l’auteur et la victime.

5) La circonstance tenant à la pluralité des auteurs

La pluralité de participant à l’activité meurtrière, comme par exemple, un ensemble coups sur une victime ou un ensemble de tirs avec une arme à feu, constituent une cause d’aggravation du meurtre.

C’est la consécration légale de la « Théorie des scènes uniques de violence ».