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L'UTILISATION PRIVATIVE DU DOMAINE PUBLIC/ DISSERTATION EN DROIT ADMINISTRATIF DES BIENS

Elle se manifeste par l’occupation par une personne déterminée d’une dépendance du domaine public et la soustraction corrélative de celle-ci à l’usage de tous.

I- Les formes d’occupation privative du domaine public

Les utilisations privatives ne sont pas régies pas le principe de la liberté, mais sont soumises à autorisation. Celle-ci, quelle que soit sa forme, ne peut être accordée et maintenue que si l’utilisation privative est compatible avec l’affectation et la conservation du domaine public. La jurisprudence est constante sur ce point : CE, 19 juin 1931, Ville de Sarreguemines, Rec., p. 157 ; CE, 3 mai 1963,
 
Commune de Saint-Brevin-les-Pins, Rec., p. 259, RDP, 1963, p. 1174.
 
L’administration, avant d’accorder une autorisation, doit toujours vérifier que l’utilisation envisagée est compatible avec l’affectation et ne met pas en danger la conservation du domaine.
 
A cet égard, l’article 211 de la loi ivoirienne du 26 décembre 2003 portant régime financier, fiscal et domanial des collectivités territoriales dispose que « Ces autorisations ne peuvent être accordées que si l’utilisation du domaine public de la collectivité territoriale ne perturbe pas l’usage collectif principal ».
 

 

On distingue les utilisations fondées sur un acte juridique unilatéral appelé permission de voirie et les utilisations fondées sur un contrat appelé concession de voirie. C’est en ce sens que dispose l’article 212 de la loi du 26 décembre 2003 précitée : « Les autorisations d’occupation peuvent revêtir la forme d’une permission administrative unilatérale ou d’une concession résultant d’une convention conclue entre la collectivité territoriale et l’occupant ». Cette distinction ne doit pas être exagérée, car sur de nombreux points le régime est identique. Le choix entre les deux systèmes n’obéit pas à des principes absolus. Le contrat convient mieux à des situations stables, aux investissements importants, mais l’administration ne commet aucune illégalité en recourant à l’acte unilatéral. Il subsiste, cependant, quelques différences qui justifient une étude séparée.

A- L’autorisation unilatérale : La permission de voirie

*La forme de la permission de voirie : Considérée naguère comme un acte de police, elle s’appréhende, aujourd’hui, comme un acte de gestion domaniale. Cette autorisation est délivrée sous la forme d’un acte administratif unilatéral. L’autorité administrative peut faire application d’un règlement. Ainsi, le maire peut-il réglementer les conditions d’attribution d’emplacements sur un marché et, en fonction de ce règlement, octroyer les autorisations.
 
*Les conditions de la permission de voirie : Chaque permission de voirie peut être assortie de conditions particulières figurant dans une sorte de cahier de charges, ce qui n’enlève pas à la permission son caractère unilatéral. La jurisprudence a même admis que la permission pouvait s’accompagner d’une obligation de service public : Arrêt Cie maritime d’Afrique orientale, Grands Arrêts. Si le permissionnaire ne respecte pas les conditions à lui imposées, il s’expose à des sanctions, notamment le retrait de la permission. L’Administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser les autorisations sollicitées.

*Les limites au pouvoir de permission : Cependant, ce pouvoir comporte certaines limites. L’utilisation privative doit être compatible avec l’affectation du bien en cause. Elle ne doit pas gêner l’usage collectif principal. La permission ne peut porter atteinte au droit appartenant aux tiers sur la dépendance concernée. Elle ne doit pas porter une atteinte excessive aux aisances de voirie des riverains. L’acte accordant la permission de voirie étant un acte administratif, il est susceptible d’être annulé par le juge de l’excès de pouvoir. Dans la mesure où l’utilisation privative est anormale, les intéressés n’ont en principe aucun droit à obtenir la permission. Le juge se refuse à contrôler l’opportunité de la décision administrative. Toutefois, en cas de refus de la permission, le juge est fondé à vérifier la réalité de la légalité des motifs invoqués.

*La fin de la permission de voirie : L’occupant, dont l’utilisation prend fin, doit rendre le domaine public en l’état initial. L’administration est en droit d’exiger qu’il enlève toutes ses installations dans un délai précis. Mais, il est loisible à l’administration de racheter les installations placées par l’occupant privatif. Si le permissionnaire demeure dans les lieux à l’expiration de la permission, il se trouve être un occupant sans titre du domaine, il encourt alors une condamnation pénale pour contravention de voirie.
 
*Les droits et obligations du permissionnaire de voirie : L’occupant privatif est en situation légale et réglementaire. Ses droits ainsi que ses obligations sont fixés par des textes à portée générale et impersonnelle, et par le titre d’autorisation qui constitue un acte administratif unilatéral. En raison du caractère précaire et révocable de toute occupation privative, le permissionnaire n’a aucun droit au maintien ni au renouvellement de son autorisation. Il dispose, cependant, tant que dure l’autorisation, du droit d’utiliser privativement le domaine. Il peut défendre son droit d’occupation paisible contre les tiers au travers de l’action possessoire et de l’action en responsabilité. Il peut même engager la responsabilité de l’Administration, si elle permet à un tiers d’occuper indûment la parcelle qui a fait l’objet de son autorisation.
 

 

B- Les autorisations contractuelles : La concession de voirie

*Nature de la concession de voirie : Il résulte de la pratique et des textes que le procédé contractuel est recherché lorsque l’occupation implique des investissements importants ou une longue durée d’exploitation. Les contrats portant occupation du domaine public sont des contrats administratifs par détermination de la loi. Pour identifier les contrats d’occupation du domaine public, il convient de se référer au contenu du contrat, aux droits et obligations des parties et précisément aux garanties reconnues à l’occupant.
 
*les critères de qualification de la concession de voirie : Si l’occupation est consentie pour une durée déterminée, si les causes de retrait sont énumérées limitativement et surtout un droit d’indemnité est prévu en cas de retrait, il y a tout lieu de penser que l’on se trouve en présence d’un contrat. Les occupations contractuelles comportent non seulement une réciprocité dans les obligations des parties, mais comportent un minimum de sécurité pour l’occupant qui a droit à une indemnité en cas de retrait, ce qui n’est pas le cas pour le permissionnaire de voirie.
 
*La passation des contrats de concession : La passation du contrat constitue pour l’administration une compétence discrétionnaire. Toutefois, ce principe ne s’applique pas aux occupations du domaine public spécialement affecté à une utilisation privative : c’est le cas des concessions funéraires.
 
*Les pouvoirs de l’administration contractante : Les droits de l’administration contractante dans l’exécution du contrat comportant occupation du domaine public sont liés au caractère administratif du contrat. Comme tout contrat administratif, il peut faire l’objet de modification unilatérale. L’occupation portant sur le domaine public étant soumise au principe de précarité, l’administration peut mettre fin au contrat par voie unilatérale, non seulement quand l’occupant manque à ses objectifs, mais aussi pour tout motif d’intérêt général.

*Les droits de l’occupant : L’occupant a aussi des droits.

-Entre autres, il a le droit d’utiliser paisiblement le domaine public ;

-Il a droit à une indemnité lorsque l’Administration porte atteinte à ses droits contractuels ;

-Il a droit à une indemnité en cas de retrait avant terme de son titre d’occupation ;

-Il a également droit à une indemnité d’imprévision en cas de bouleversement du contrat.
 

 

II- Les principes régissant les utilisations privatives

Contrairement aux utilisations collectives gouvernées par des principes de liberté, d’égalité et de gratuité, les utilisations privatives sont soumises à autorisation, donnent lieu à la perception de redevance et elles ont un caractère précaire.
 

 

A- La subordination à autorisation

Nul ne peut, sans autorisation délivrée par l’autorité compétente, occuper une dépendance du domaine public à titre privatif. Le principe de la nécessité d’une autorisation ne souffre aucune exception. L’autorisation, qu’elle soit sous la forme de permission ou de concession de voirie, sauf clause de tacite reconduction, doit être expresse. Selon la jurisprudence (CE, 17 décembre 1975,
 
Société Letourneur frères, RDP 1976, p. 1083) : « Si une autorisation venue à terme et non assortie d’une clause de tacite reconduction n’est pas explicitement renouvelée, l’occupation cesse d’être autorisée et l’absence d’autorisation ne saurait être compensée par le fait que l’Administration tolère même durablement le maintien dans les lieux et exige de l’occupant qu’il s’acquitte des redevances dues à raison de l’utilisation privative continuée du domaine ».
 
L’autorisation a donc un caractère personnel, elle n’est donc pas cessible, sauf autorisation de l’Administration. Dès lors qu’une dépendance du domaine public est occupée sans autorisation, il y a occupation sans titre et l’Administration est en droit de poursuivre l’expulsion des occupants.
 
L’autorisation, qu’elle soit unilatérale ou contractuelle, est accordée par l’Administration compétente suite à une demande. Si l’autorité administrative estime que la demande peut être accueillie, il instruit le dossier avec, entre autres, dans les centres urbains, une consultation publique dite enquête de commodo et incommodo. L’enquête de commodo et incommodo permet à l’Administration de recueillir l’avis des administrés et éventuellement des autres administrations concernées.
 
En milieu urbain, toute autorisation portant occupation privative du domaine public doit être précédée d’une enquête de commodo et incommodo.
 
Par le biais de l’enquête de commodo et incommodo, le public est invité à se prononcer sur l’occupation privative envisagée et éventuellement à s’y opposer.
 
Mais, l’enquête de commodo et incommodo n’est qu’une simple procédure de consultation du public. L’autorité chargée d’accorder ou de refuser l’autorisation n’est pas juridiquement liée par les résultats de l’enquête de commodo et incommodo.
 

 

B- Les autres principes

1- La redevance

Toute occupation privative du domaine public est en principe assujettie au paiement d’une redevance. Les redevances sont la contrepartie des avantages spéciaux retirés par l’occupant du domaine public. Elles sont exigibles même lorsque le domaine est occupé en l’absence de toute autorisation. Les redevances sont encaissées, en règle générale, par l’Administration propriétaire du domaine occupé, mais les communes peuvent percevoir des redevances sur des biens appartenant à l’Etat situés à l’intérieur de leurs entités. Par exemple : une route nationale traversant une commune.
 
Les redevances doivent correspondre à la valeur locative de l’emplacement et, dans le calcul, il peut être tenu compte des bénéfices que le concessionnaire retire. Entrent dans la catégorie des redevances les autorisations d’installer, sur le domaine public, des réseaux de canalisation d’eau et de gaz.
 
Sont considérés comme assujettis à la redevance les industriels qui implantent des panneaux publicitaires sur le domaine public.
 

 

2- Le principe de précarité

Plus encore que le principe de subordination à autorisation, le principe de précarité traduit la préoccupation d’assurer la protection du domaine public et de faire en sorte que l’Administration soit toujours en mesure d’en avoir la disposition. En conséquence du principe, non seulement les autorisations d’occupation peuvent ne pas être renouvelées quand elles viennent à terme, mais
 
en plus elles peuvent être retirées avant terme, à titre de sanction et pour tout motif d’intérêt général. Le fait qu’une autorisation ait été accordée pour une durée déterminée ne limite pas la liberté de l’Administration. La fixation d’un terme permet de prévoir la durée maximale, non la durée minimale. Lorsqu’il s’agit d’une autorisation contractuelle, l’Administration, qui retire ou met fin au contrat avant terme, doit payer une indemnité à son cocontractant. Si les prérogatives de l’occupant du domaine public ne peuvent être considérées comme des droits réels civils, c’est essentiellement parce que les exigences de l’affectation les marquent du sceau de la précarité.
 

 

La précarité est un principe fondamental qui ne peut être valablement écarté par accord entre l’Administration et l’occupant du domaine public : CE, 6 mai 1985, Eurolat (arrêt de principe).
 
Ce principe de précarité implique, d’un point de vue intrinsèque, la possibilité d’abrogation à toute époque du titre d’occupation et l’absence de droit à son renouvellement et, du point de vue extrinsèque, le rejet des règles du droit commercial qui s’appliquent ordinairement entre le propriétaire et l’occupant d’un fonds.
 
L’absence de droit au maintien ou au renouvellement du titre d’occupation, c’est le critère de démarcation entre les droits réels civils et les droits réels administratifs. Les premiers étant perpétuels et irrévocables tandis que les seconds sont temporaires et révocables. La jurisprudence considère la précarité comme un élément commun à toutes les occupations du domaine public : CE, 4 février 1983, Ville de Charleville, Rec., p. 45.
 
L’Administration a la possibilité d’abroger de plein droit et à tout moment le titre d’occupation pour tout motif d’intérêt général, sans que cette abrogation ouvre droit à des indemnités pour les permissions de voirie : CE, 6 mai 1932, Taillandier.
 
L’inapplicabilité des règles de la propriété commerciale aux occupations privatives contractuelles du domaine public doit être soulignée. Par ailleurs, le droit au maintien dans les lieux à l’issue de l’occupation que postule le bail commercial est mis en échec par le principe de précarité. Les contrats portant occupation du domaine public sont des contrats administratifs. En conséquence, est exclue l’application de la législation sur les baux à usage d’habitation et les baux commerciaux. Le cocontractant de l’Administration ne saurait se prévaloir de ces législations pour faire échec à une action en expulsion engagée à son encontre, en soutenant qu’il a droit au maintien dans les lieux à l’expiration du
 
contrat. Il ne saurait pour le même motif être indemnisé pour le refus de renouvellement du contrat.