EXPLICATION D’ARRÊT/ETAT DU SENEGAL CONTRE LA SOABI RENDU PAR LA 1ERE CHAMBRE CIVILE DE LA COUR D’APPEL DE PARIS EN DATE DU 5 DECEMBRE 1989
La sentence arbitrale est la décision par laquelle les arbitres, conformément aux pouvoirs que leur confère la convention arbitrale, tranchent les questions litigieuses que leur soumettent les parties. En principe, la sentence devrait être exécutée spontanément par les parties. Mais, si l'une des parties s'y refuse, la décision arbitrale, ayant l'autorité de la chose jugée mais pas la force exécutoire, devra faire l'objet d'une procédure d'exequatur. L’exequatur est le mécanisme judicaire par lequel l'autorité judiciaire compétente donnera force exécutoire à la sentence de l’arbitre. Précisons que si le terme exequatur s'applique à la décision même, il désigne également l'ordre d'exécution donné par l'autorité compétente. Cependant, il arrive parfois que les personnes morales de droit public se prévalent de leur droit à l’immunité d’exécution pour refuser que la sentence puisse faire l’objet d’exequatur. C’est ce dont il est question dans l’affaire ETAT DU SENEGAL contre la SOABI qui est un arrêt infirmatif rendu par la 1ère chambre civile de la Cour d’Appel de Paris en date du 5 décembre 1989. Des faits, il ressort que l’Etat du Sénégal a été condamné par un centre d’arbitrage (CIRDI[1]) à payer diverses sommes à la Société Ouest Africaine de Bétons Industriels (SOABI) en raison de la résiliation unilatérale des contrats conclus entre eux. Sur ce, la société SOABI a saisi le tribunal de Grande Instance de Paris pour obtenir l’exequatur sur le territoire français de la sentence arbitrale devenue définitive et qui avait déjà fait l’objet d’exequatur sur le territoire Sénégalais. Lequel tribunal a agréé sa demande en accordant l’exequatur à ladite sentence qui condamnait l’Etat Sénégalais au paiement de diverses sommes.
Mais l’Etat du Sénégal, appelant, requiert devant la Cour d’Appel de Paris l’infirmation de l’ordonnance, le refus de l’exequatur en France et la condamnation des contestants aux dépens de première instance et d’appel. Ce, au motif que premièrement, la reconnaissance ou l’exécution de la sentence en France est contraire à l’ordre public international français (Article 1502, alinéa 5 du NCPC) ; deuxièmement, qu’en application des articles 54 et 55 de la Convention de Washington du 18 mars 1965, il (L’Etat du Sénégal) a accepté d’assurer l’exécution de la sentence au Sénégal sans avoir renoncé à son immunité d’exécution en France et qu’enfin, l’article 54 susmentionné prévoit un exequatur simplifié et limite le pouvoir du juge dans chaque Etat contractant au contrôle de l’authenticité de la sentence arbitrale du CIRDI et que dans ces conditions l’ordonnance d’exequatur n’est pas un acte d’exécution mais un acte préalable aux mesures d’exécution. Devant les prétentions de l’Etat Sénégalais, les représentants de la Société SOABI requièrent devant la Cour d’Appel de Paris, l’irrecevabilité et le rejet de son appel en excipant de ce qu’avant tout, les conditions d’ouverture et l’appel contre une ordonnance d’exequatur prévus par l’article 1502[2] du code civil n’ont pas été remplis. Et qu’ensuite, l’obligation de donner l’exequatur à la sentence du CIRDI appartenait à la France et au Sénégal, tous deux signataires de la convention, qui avaient l’obligation de donner l’exequatur à la sentence et que le Sénégal qui l’a fait ne peut reprocher à la France d’agir de même.
Devant cette situation on s’interroge sur la question suivante : Un Etat étranger ayant souscrit à une convention d’arbitrage peut-il user de son immunité d’exécution pour refuser que la sentence rendue par la juridiction arbitrale, devenue définitive et ayant été exequaturée[3] sur son territoire puisse faire l’objet d’exequatur dans l’Etat contractant ?
Face à cette question, le juge a répondu par l’affirmative en se fondant sur l'article 1502 alinéa 5 du nouveau Code de procédure civile et sur la convention de Washington. Arguant que l’Etat Sénégalais en signant la clause compromissoire s’est engagé à assurer l’exécution sur son territoire des obligations pécuniaires que la sentence impose mais n’a pas renoncé à son droit à l’immunité d’exécution en vigueur dans un Etat contractant. Et qu’en principe chaque Etat jouit de son immunité d’exécution dans l’Etat étranger mais elle peut être écartée lorsque les biens ont été affectés à une activité économique et commerciale relevant du droit privé et que la SOABI n’a pas apporté la preuve de cette exception de sorte que l’exécution de la sentence en France heurte l’ordre public international en ce qu’il est contraire au principe d’immunité.
Ainsi, le droit à l’immunité d’exécution est un principe fondamental clairement affirmé par le juge dans sa décision. Cependant, le juge ne manque pas de procéder à l’application du droit à l’immunité d’exécution dans la convention arbitrale.
I- La reconnaissance de l’immunité d’exécution à l’Etat étranger
Tout Etat en raison de sa souveraineté dispose de l’immunité d’exécution c’est à dire du droit ou du privilège d’empêcher toute saisie sur ses biens à l’étranger. Ce principe a été clairement affirmé par la Cour en ces termes « l’immunité d’exécution dont jouit l’Etat étranger en France est de principe ; qu’exceptionnellement, elle peut être écartée lorsque les biens sur lesquels doit porter l’exécution ont été affectés par cet Etat à une activité économique et commerciale relevant du droit privé ». Eu égard à cette affirmation, il serait pertinent de développer le contenu de l’immunité d’exécution dont bénéficie un Etat à l’étranger de démontrer son caractère non absolu.
A- Une immunité consacrée juridiquement
L'immunité est l’un des moyens de défense à la disposition d'un Etat pour se soustraire à la juridiction d'un tribunal (immunité de juridiction) ou à l'exécution d'une sentence ou jugement sur ses biens (immunité d'exécution). Contrairement au moyen de défense fondé sur l'inaptitude de l'Etat à compromettre, l'immunité n'entraîne pas l'invalidité de l'engagement pris par l'Etat, mais son inopposabilité[4]. Les immunités résultent des diverses conventions internationales dont les plus connues sont : les conventions de Vienne du 18 Avril 1961 sur les relations diplomatiques, et du 24 Avril 1963 sur les relations consulaires ou diverses conventions conclues sous les auspices de l'Organisation des Nations Unies ou de sa devancière, la SDN, et tout récemment la Convention des Nations-Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens adoptés le 2 décembre. L’égalité ou l’absence de hiérarchie théorique entre Etats imposerait qu’un Etat s’abstienne de tout acte d’autorité à l’encontre d’un autre Etat et à l’encontre des biens de cet Etat qui sont situés sur son territoire[5]. En France, la question de l’immunité de juridiction et d’exécution de l’Etat étranger a relevé, et relève toujours aujourd’hui de l’appréciation des tribunaux. Le principe de l’immunité des Etats étrangers a été posé pour la première fois par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 janvier 1849 Gouvernement espagnol c. Lambeze et Pujol[6]. Pour ce qui concerne plus précisément l’immunité d’exécution, c’est en 1885 que la Cour de cassation a considéré, dans son arrêt Veuve Cartier Terrasson, « qu’il est de principe absolu en droit qu’il n’appartient pas au créancier de l’Etat, même pour s’assurer l’exécution d’une décision judiciaire obtenue contre celui-ci, de faire saisir arrêter, entre les mains d’un tiers, les deniers ou autres objets qui sont la propriété de l’Etat ». L’immunité des Etats étrangers était alors considérée comme absolue.
La reconnaissance de la sentence arbitrale une fois obtenue, son exécution forcée pourra avoir lieu. Cependant, lorsque la partie récalcitrante est un Etat, l’exécution forcée peut venir se heurter à un dernier écueil, à savoir l’immunité d’exécution dont bénéficient les biens de l’Etat étranger sur le territoire d’un autre Etat. Le système CIRDI n’a pas formulé de règles uniformes en la matière. Il se borne à renvoyer au droit de l’Etat sur le territoire duquel l’investisseur entend faire procéder à l’exécution forcée de la sentence. En vertu de l’article 55 de la Convention de Washington « aucune des dispositions de l’article 54 ne peut être interprétée comme faisant exception au droit en vigueur dans un Etat contractant concernant l’immunité d’exécution dudit Etat ou d’un Etat étranger ». Dans le système CIRDI, le droit des immunités d’exécution reste une compétence réservée des Etats[7]. Et c’est ce dont se prévaut la Cour[8] pour rendre sa décision lorsqu’elle affirme « qu’en principe chaque Etat jouit de son immunité d’exécution dans l’Etat étranger ». C’est cette immunité que la Cour reconnait à l’Etat du Sénégal dans cette affaire.
L’immunité d’exécution dont jouit un Etat est un principe fondamental en droit international mais ce principe n’est pas absolu.
B- Une immunité non absolue
Prenant acte du développement des activités commerciales des Etats et, corollairement, de la nécessité de ne pas priver les partenaires commerciaux des Etats de tout recours, une distinction s’est progressivement opérée entre activités souveraines de l’Etat (acta jure imperii), pour lesquelles les Etats doivent toujours bénéficier de l’immunité, et activités privées de cet Etat (acta jure gestionis) pour lesquelles il n’est pas justifié que l’Etat puisse utilement invoquer un tel privilège.
L’immunité de l’Etat étranger s’est alors cantonnée aux seules activités de puissance publique, l’Etat étranger revêtant les habits de commerçant se trouvant alors privé de l’attribut exorbitant du droit commun[9]. Cette conception a conduit, assez naturellement, les juges français, dans le cadre d’une affaire[10], à déduire de la seule souscription par l’Etat d’une clause compromissoire la renonciation de cet Etat étranger à son immunité d’exécution. Mais revenant au fait, afin de dire si tel ou tel bien d’un Etat étranger peut être saisi, on pourrait envisager de se fonder sur les effets de la saisie de ce bien sur l’activité souveraine ou de service public de l’Etat. En effet, si l’objectif est de concilier intérêt privé et intérêt général, il pourrait paraître raisonnable de satisfaire l’intérêt privé si les mesures d’exécution exercées n’ont pas pour effet de gêner outre-mesure la continuité de la puissance et du service public. C’est ainsi que, dans une affaire franco-française, le Tribunal de grande instance de Paris a autorisé une saisie-arrêt à l’encontre de Gaz de France au motif que « cet établissement ne démontre pas que la saisie-arrêt autorisée soit de nature, en particulier par l’importance ou par la nature des biens en cause, à empêcher ou à gêner le fonctionnement régulier et continu du service public ». Ainsi, les juges, dans leur appréciation souveraine, ont évalué le degré de perturbation du service que pouvait avoir l’exercice de la mesure de saisie en laissant la charge de la preuve de cette perturbation à la personne publique. Preuve que la question se pose dans des termes bien différents lorsqu’il s’agit d’un Etat étranger, et notamment compte tenu de la retenue qu’il convient d’adopter au regard de l’atteinte aux souverainetés que peut impliquer de telles mesures, cette approche n’a pas été appliquée lorsque les voies d’exécution ont concerné les biens d’un Etat étranger. En ligne avec le droit coutumier, la jurisprudence française a préféré appliquer dans ces hypothèses une catégorisation des biens de l’Etat en distinguant les biens affectés aux missions souveraines ou de service public des biens affectés aux activités économiques et commerciales. En 1984, dans l’arrêt Eurodif c/ République islamique d’Iran, la Cour de cassation a ainsi décidé que l’immunité d’exécution de principe de l’Etat étranger pouvait être exceptionnellement écartée lorsque « le bien saisi a été affecté à l’activité économique ou commerciale relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice »[11]. Tel était le fondement de la décision de la Cour dans l’affaire SOABI contre l’Etat Sénégalais, qui a estimé que le Tribunal de Grande Instance qui a exequaturé la sentence arbitrale a violé l’ordre public international français en ce sens que cette dernière “n’établit pas que l’exécution de la sentence sera effectuée sur des biens affectés par cet Etat à une activité économique et commerciale et que dès lors l’immunité d’exécution pouvait être opposée’’.
L’immunité d’exécution s’applique-t-elle dans une convention d’arbitrage ?
II- L’application de l’immunité d’exécution dans la convention d’arbitrage
La souscription à une convention d’arbitrage suppose la soumission des parties à une juridiction arbitrale. De cette convention arbitrale, nait une obligation consistant en l’exécution de la sentence qui résultera de l’arbitrage. Laquelle exécution obligatoire ne suppose pas de la part des Etats contractants renonciation à leur immunité d’exécution.
A- Une exécution obligatoire pour l’Etat contractant
« Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté de bonne foi »[12]. Il s’agit de l’obligation générale « Pacta sunt servanda » c’est le principe de l’effet relatif du traité.
A partir du moment où un Etat accepte de participer à une négociation, de signer un traité et de le ratifier, il s’engage par là même à exécuter les obligations qui en découlent d’une part, et il est en droit de réclamer des prérogatives qui en résultent d’autre part. En l’occurrence, l’article 54 (1) de la convention de Washington dispose : « Chaque Etat contractant reconnaît toute sentence rendue dans le cadre de la présente Convention comme obligatoire et assure l’exécution sur son territoire des obligations pécuniaires que la sentence impose comme s’il s’agissait d’un jugement définitif d’un tribunal fonctionnant sur le territoire dudit Etat. »
La sentence est obligatoire à l’égard des parties[13] et devrait en principe être exécutée spontanément par les parties. Mais, si l'une des parties s'y refuse, la décision arbitrale, ayant l'autorité de la chose jugée mais pas la force exécutoire, devra faire l'objet d'une procédure d'exequatur qui est ici le mécanisme par lequel l'autorité judiciaire compétente donne force exécutoire à une sentence arbitrale. L’objectif de l’exequatur d’une sentence arbitrale est généralement son exécution forcée.
La sentence arbitrale, qu’elle soit interne, internationale (rendue à l’étranger ou sur son territoire), va grâce à l’exequatur devenir un titre exécutoire. Muni de ce titre, le créancier dispose d’un moyen de pression renforcé sur son débiteur. Avant que l’exequatur soit obtenu, les actifs détenus à l’étranger par le débiteur ne sont en effet pas réellement menacés. La partie ayant obtenu l’exequatur va donc tenter d’obtenir sur son territoire le paiement par son adversaire des sommes auxquelles celui-ci a été condamné par la sentence.
Par ailleurs, il faut mentionner que l’exequatur de la sentence arbitrale à l’étranger ne constitue pas une mesure d’exécution mais plutôt une mesure préalable à l’exécution. L’exequatur ne sert qu’à attribuer force exécutoire à la décision mais cela ne suppose pas qu’il favorise immédiatement l’exécution de la sentence. Même s’il en est la conséquence, l’Etat contractant ne peut refuser qu’une sentence fasse l’objet d’exequatur au motif que cette action porte atteinte à son immunité d’exécution. Telles étaient les prétentions des représentants de la SOABI devant la Cour d’Appel. Ils soutenaient que “ l’exequatur n’est pas une mesure d’exécution et qu’il appartiendra à l’Etat du Sénégal de soulever son immunité d’exécution en temps utile lors d’une procédure d’exécution“.
L’exequatur n’est « qu’ un préalable nécessaire à l’exécution forcée des jugements étrangers et c’est à ce second stade, qui relève de la compétence du juge de l’exécution, que s’apprécie l’éventuelle immunité d’exécution du débiteur».
L’application de l’immunité d’exécution dépend, outre de la nature de l’action engagée, de la nature des biens sur lesquels une mesure d’exécution est envisagée. Tel que mentionné plus haut, la jurisprudence s’attache à apprécier si le bien visé est affecté «à une activité de souveraineté ou de service public dans laquelle se manifeste la puissance publique de l’état étranger ou de l’organisme qui en est son émanation »[14].
Le domaine des immunités d’exécution est encore plus limité avec le développement de l’arbitrage. La souscription de conventions d’arbitrage dans les contrats conclus avec leurs partenaires économiques étrangers ne pouvait rendre les Etats et leurs tribunaux indifférents à l’influence d’une telle convention sur les immunités. En effet, dès lors que l’Etat choisit de se comporter comme une personne privée et accepte un mode privé de règlement des litiges, il n’est plus considéré légitime de sa part de changer en cours de route les règles du jeu fixées préalablement avec son partenaire pour, une fois condamné, s’abriter derrière son immunité afin de s’opposer à l’exécution de la sentence. La bonne foi n’est-elle pas mise en péril par un tel comportement ? Le principe Pacta Sunt Servanda ne devient-il pas lettre morte ?
La Cour a estimé, en s’appuyant sur la Convention de Washington, que l’Etat Sénégalais s’était engagé mais n’avait pas renoncé à son immunité d’exécution. Ce qui limite donc l’exécution de la sentence.
B- Une exécution limitée par le droit à l’immunité d’exécution
L’influence de l’arbitrage sur les immunités étatiques a été traitée par les Etats sous l’angle de la renonciation, c'est-à-dire sur le plan de la volonté, critère subjectif. En souscrivant à une clause compromissoire, l’Etat est présumé avoir renoncé à son immunité de juridiction d’abord, puis d’exécution.
La présomption de renonciation par l’Etat à son immunité d’exécution du fait de la conclusion d’une clause d’arbitrage est évidemment favorable au créancier en raison du passage d’un régime dualiste à un régime moniste des immunités.
Le régime dualiste des immunités en matière d’arbitrage demeure le principe. C’est le cas dans l’arbitrage CIRDI en son article 55 qui précise que l’engagement pris par l’Etat d’exécuter la sentence sur son propre territoire « ne peut être interprété comme faisant exception au droit en vigueur dans un Etat contractant concernant l’immunité d’exécution dudit Etat ou d’un Etat étranger ».
La jurisprudence française a initialement été hostile à l’idée que l’adhésion par une clause compromissoire à un règlement d’arbitrage et, a fortiori, la simple souscription à une convention d’arbitrage, puissent être considérées comme une renonciation implicite de l’Etat à se prévaloir de son immunité d’exécution. L’arrêt Eurodif de la Cour d’appel de Paris du 21 avril 1982 est clair. Il était demandé à la Cour de dire que l’engagement d’exécuter la sentence pris par les parties aux fins de l’ancien article 24-2 du Règlement d’arbitrage CCI valait renonciation à l’immunité d’exécution. Cette disposition du règlement CCI prévoyait que « toute sentence arbitrale revêt un caractère obligatoire pour les parties. Par la soumission de leur différend au présent Règlement, les parties s’engagent à exécuter sans délai la sentence à intervenir, et sont réputées avoir renoncé à toutes voies de recours auxquelles elles peuvent valablement se prévaloir ». La Cour de Paris s’y est refusée, au motif que cette stipulation du règlement d’arbitrage constituait seulement « un engagement de se soumettre volontairement à la sentence et d’en reconnaître la force obligatoire mais ne contient aucune allusion à l’immunité d’exécution dont une partie pourrait éventuellement bénéficier. ». La Cour a ajouté, dans un motif de portée plus générale, que « l’on ne peut (…) admettre que la stipulation d’une clause compromissoire implique par elle-même une renonciation à l’immunité d’exécution (…) »[15]. Cette position est parfaitement compatible avec la Convention de Washington qui, par le renvoi aux droits nationaux qui figure à son article 55, semble donc réfuter également l’idée que le consentement à l’arbitrage et le caractère obligatoire de la sentence rendue puissent valoir une quelconque renonciation de l’Etat à son immunité d’exécution[16].
L’Etat contractant peut toujours refuser de consentir à la décision du CIRDI en invoquant l’argument de l’immunité souveraine[17]. En effet, la convention ne déroge pas sur ce point aux dispositions sur l’immunité dont peut se prévaloir chaque Etat contractant. La convention ne prévoit ainsi « qu’aucune des dispositions de l’article 54 ne peut être interprétée comme faisant exception au droit en vigueur dans un Etat contractant concernant l’immunité d’exécution dudit Etat ou d’un Etat étranger[18]. ». Il est donc possible que sous certaines conditions propres à l’immunité, un Etat contractant puisse ne pas exécuter la décision rendue par le CIRDI.
L’article fait implicitement référence à plusieurs dispositions de droit international qui ont établi l’immunité des Etats rationae personae et rationae materiae. L’article 2§4 de la Charte des Nations Unies par exemple prévoit l’immunité des Etats et l’égalité entre eux. Le critère unique de cette immunité est la souveraineté de l’Etat principe primordial en droit international. Le CIRDI semble devoir se conformer à cette immunité. Et c’est sur cette base que s’est fondé l’Etat Sénégalais pour s’opposer à ce que la sentence puisse faire l’objet d’exequatur dans l’Etat français. Car dit-il, “ en application des articles 54 et 55 de la Convention de Washington du 18 mars 1965, il a accepté d’assurer l’exécution de la sentence au Sénégal sans avoir renoncé à son immunité d’exécution en France“. Acquiesçant les prétentions de l’Etat Sénégalais, la Cour déclare effectivement que ce dernier, “en signant la clause compromissoire et en se soumettant à une juridiction arbitrale, s’est engagé à assurer l’exécution sur son territoire des obligations pécuniaires que la sentence impose (article 54) mais n’a pas renoncé à son droit à son immunité d’exécution en vigueur dans un Etat contractant (Article 55) “ et que l’exequatur de la sentence à l’étranger porte atteinte à l’ordre public international français.
Cette décision est justifiée en ce sens qu’elle tire son fondement de la Convention de Washington mais cette conception fut fortement critiquée par les juridictions françaises si bien qu’une avancée fut opérée par la Cour d’appel de Rouen dans l’affaire Bec Frères c/ office des Céréales de Tunisie. Dans cette affaire, la juridiction rouennaise a estimé que « en souscrivant à des clauses compromissoires, sans lesquelles, à l’évidence, les marchés n’auraient pas été conclus, l’Etat tunisien a accepté les règles du droit commun du commerce international et qu’il a, par là-même, renoncé à son immunité de juridiction et, les conventions devant s’exécuter de bonne foi, à son immunité d’exécution »[19]. Dans l’affaire Creighton contre Qatar, la Cour de cassation consacra cette thèse et décida qu’une convention d’arbitrage précisant, par référence à un règlement d’arbitrage, que la sentence à intervenir serait exécutoire et qu’elle serait exécutée sans délai, valait renonciation à l’immunité de juridiction et d’exécution d’un Etat. En effet, il a été jugé que l’engagement pris par l’Etat étranger signataire de la clause d’arbitrage d’exécuter la sentence dans les termes de l’article 24 du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale implique renonciation de cet Etat à l’immunité d’exécution[20].
En somme, la décision du juge parait fondée quant à la Convention de Washington, mais force est de constater qu’il a ignoré un principe fondamental en droit qui risquerait de remettre en cause sa décision. Principe selon lequel l’exequatur n’est pas une mesure d’exécution mais une mesure préalable à l’exécution. Il n’était donc pas en droit, à notre humble avis, de refuser l’exequatur rendu par le Président du Tribunal de Grande Instance de Paris.
“En souscrivant une clause compromissoire, l’Etat étranger, qui s’est soumis à la juridiction des arbitres a, par là-même, accepté que leur sentence puisse être revêtue de l’exequatur ; que celui-ci ne constitue pas un acte d’exécution mais seulement un acte préalable aux mesures d’exécution de sorte que le juge français de l’exequatur, tenu par l’article 54 de la Convention de Washington à limiter son contrôle à l’authenticité de la sentence, ne peut s’immiscer dans la phase d’exécution par l’Etat Sénégalais[21]“.
[1] Centre International pour le Règlement des Différends nés des Investissements institué par la convention de Washington du 18 mars 1965 pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats. En conformité avec ses dispositions, le CIRDI fournit des services de conciliation et d’arbitrage des différends relatifs aux investissements entre des Etats contractants et des ressortissants d’autres Etats contractants.
[2] Article 1502 : Modifié par Décret n°2011-48 du 13 janvier 2011 - art. 2
Le recours en révision est ouvert contre la sentence arbitrale dans les cas prévus pour les jugements à l'article 595 et sous les conditions prévues aux articles 594, 596, 597 et 601 à 603.
Le recours est porté devant le tribunal arbitral.
Toutefois, si le tribunal arbitral ne peut à nouveau être réuni, le recours est porté devant la cour d'appel qui eût été compétente pour connaître des autres recours contre la sentence.
NOTA : Décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 article 3 2°: Ces dispositions s'appliquent lorsque le tribunal a été constitué postérieurement au 1er mai 2011.
[3] Fait l’objet d’un exéquatur
[4] Poudret & Besson, Droit comparé de l'arbitrage international, L.G.D.J. 2002, n° 232.
[5] P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public, LGDJ, 8ème édition, p. 497 et s..
[6]Arrêt suivant lequel : « un gouvernement ne peut être soumis, pour les engagements qu’il contracte, à la juridiction d’un Etat étranger ».
[7] Sur le thème des immunités et de l’exécution des sentences CIRDI et des sentences investisseur-Etat en général, voir notamment A. K. Bjorklund, « State Immunity and the enforcement of Investor-State Arbitral Awards », in International Investment Law For the 21 St Century, Essays in Honour of Christoph Schreuer, Oxford UniversityPress, 2009, p. 302 et, du même auteur, “Sovereign Immunity as a barrier to the Enforcement of Investor-State Arbitral Awards : the repolitization of international investment disputes », The American Review of International Arbitration, 2010 / Vol. 21 Nos. 1-4, p. 211..
[8] Décision de la Cour d’Appel de Paris dans l’affaire SOABI contre Etat Sénégalais.
[9] Cour de cassation, 19 février 1929, URSS c. Association France Export ; Civ. 1ère, 25 février 1969, Société Levant Express Transport c. Chemins de fer du gouvernement iranien..
[10] L’affaire Creigthon.
[11]Civ. 1ère, 14 mars 1984, JDI, 1984.598, note Oppetit ; JCP, 1984. II, 20205, Concl. Gulphe, note Synvet.
[12] D’après l’article 26 de la convention de viennes de 1969.
[13] Article 53 de la Convention de Washington.
[14] J. Béguin et M. Menjucq [sous la dir.], Droit du commerce international, Litec, p. 727.
[15] CA Paris, 21 avril 1982, Eurodif, JDI, 1983.145, note Oppetit.
[16] C. Annacker et R. T. Greig « Immunité des Etats et arbitrage », Bulletin de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI Vol. 15/N°2 – 2ème semestre 2004, p. 84.
[17] SCHLOSSER (P.F.), « conflits entre jugements judiciaires et arbitrages », Revue de l’arbitrage1981, p. 371.
[18] Article 55 de la convention de Washington.
[19] CA Rouen, 20 juin 1996, Bec Frères c. office des Céréales de Tunisie, Rev.arb. 1997 n°2.263.
[20]Cass. 1ère civ., 6 juill. 2000, JDI, 2000, n°4, note crit. I. Pingel-Lenuzza. J. Moury, L’incidence de la stipulation d’une clause compromissoire sur l’immunité d’exécution de l’Etat étranger, D. 2001, n°27, 2139.
[21] Décision de la Cour de Cassation dans l’affaire SOABI c/ l’Etat du Sénégal qui a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Paris.
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