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CCJA, arrêt n°036/2008, 03 juillet 2008 Société Burkina et Shell c/ Ouedraogo Sibiri Philippe

Sur le moyen unique Attendu que le pourvoi fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 85 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général, en ce qu’en portant le nouveau loyer à 400.000 francs cfa, les juges du fond ont, non seulement procédé à une augmentation de plus de 300%, mais aussi n’ont pas pris en compte les loyers pratiqués dans les locaux similaires comme l’exige l’article 85 de l’Acte uniforme susvisé ; que la société Burkina et Shell fait observer également que l’augmentation pratiquée ne saurait trouver son fondement dans l’exploitation complémentaire du terrain, puisque le contrat conclu avec Ouedraogo Sibiri Philippe consistait en l’exploitation d’un terrain nu aux fins de construction de toutes installations nécessaires à la vente de produits pétroliers ; que toujours selon la requérante, il s’ensuit que le bail ne concernant que le terrain nu, seule sa valeur locative devait servir de référence à la révision ; que la révision ayant pris en compte les constructions et installations réalisées traduit une application erronée de la loi et une mauvaise appréciation des faits par le juge d’appel, car si l’on estime les constructions érigées contraires à l’objet du contrat, cela ne devrait donner lieu qu’à une résolution judiciaire pour inexécution des obligations contractuelles ; que la base de révision ne pouvant non plus avoir pour assiette les chiffres d’affaires réalisés par la requérante qui soutient que le terrain litigieux n’est pas situé dans un centre commercial et que ni le jugement n°236/2003 ni l’arrêt querellé n’ont retenu ce critère ; que la requérante relève que la superficie de 2020 m2 invoquée par son adversaire n’est pas conforme à la superficie mentionnée dans le permis d’exploiter qui l’évalue à 1218 m2 ; qu’elle fait remarquer que l’argument soulevé par monsieur Ouedraogo Sibiri Philippe tendant à justifier la révision du loyer par la transformation des lieux loués, n’ayant pas été soulevé devant les juridictions de fond est un moyen nouveau qui ne saurait être présenté pour la première fois devant la cour de céans ; qu’elle relève qu’aux termes de l’article 85 de l’Acte uniforme susvisé, la fixation du nouveau loyer prend en compte : la situation des locaux ; leur superficie ; l’état de vétusté et le prix des loyers commerciaux similaires couramment pratiqués ; qu’en application de ce dernier alinéa, le juge peut rechercher des critères à même de permettre la détermination d’un taux variable ; que l’article 21 du décret n°52-765 du 30 juin 1952 réglementant les rapports entre locataires et bailleurs en ce qui concerne le renouvellement des baux d’immeubles ou des locaux à usage commercial, industriel ou artisanal en Afrique occidentale française, dispose que le taux de variation du coût des loyers ne peut excéder 25% ; que pour toutes les raisons qui précèdent, la requérante demande à la cour de céans de casser et d’annuler l’arrêt n°84 rendu le 16 juillet 2004 par la cour d’appel de Ouagadougou ; Mais attendu, d’une part, qu’aux termes de l’article 85 de l’Acte uniforme précité, « A défaut d’accord écrit entre les parties sur le nouveau montant du loyer, la juridiction compétente est saisie par la partie la plus diligente pour fixer le montant du nouveau loyer, la juridiction compétente tient notamment compte des éléments suivants : la situation des locaux ; leur superficie ; l’état de vétusté ; le prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le voisinage pour des locaux similaires ; d’autre part, selon l’article 102 du même Acte uniforme, les dispositions de l’article 85 sont d’ordre public ; que ledit article ayant donné pouvoir au juge de fixer le montant du loyer en considération des éléments suscités, il ne saurait lui être opposé les dispositions du décret susvisé ; qu’en outre, non seulement cet article 85 donne un pouvoir discrétionnaire d’appréciation aux juges du fond, mais il fixe également la liste des éléments dont le juge tient compte et de laquelle est exclu le montant du tau de variation de 25% prescrit par le décret n°52/765 du 30 juin 1952; d’où il suit que cette disposition du décret étant contraire à l’article 85 de l’Acte uniforme susvisé, le moyen doit être rejeté parce que non fondé… OBSERVATIONS La spécificité du bail commercial notamment à travers le renforcement des prérogatives du preneur provoque en permanence de sérieuses confusions et malentendus entre les parties. Celles-ci apprécient souvent maladroitement les prérogatives qui leur sont conférées soit à l’occasion de la demande de renouvellement du bail (CCJA, arret n°005 du 30 mars 2006, Société Ponty SARL c/ Société Ponty immobilière S.A, Juridis Périodique n°70, avril-juin 2007, p. 73, note F. Anoukaha. En l’espèce, le preneur était forclos pour n’avoir pas respecté le délai légal de trois mois requis pour la demande de renouvellement du bail à durée déterminée. En revanche, le bailleur est réputé avoir accepté le principe du renouvellement lorsque le preneur, s’étant opposé par acte extra judiciaire au congé formulé, n’a obtenu aucune réponse de son bailleur. Toutefois, en cas de non contestation du congé servi à un locataire bénéficiaire d’un contrat de bail commercial à durée indéterminée, ledit contrat prend fin à la date fixée par le congé ; de sorte que l’expulsion de celui-ci peut s’obtenir par la voie de référé : CA de Dakar,Chambre civile et commerciale, arrêt du 27 décembre 2002 Mamadou Sow contre Cheikh Fall, Ohadata J-03-84), soit pour obtenir une indemnité d’éviction après résiliation du bail (CCJA, arrêt n°33 du 26 mai 2005, Koita Bassidiki c/ Fabris Oscar Adone, Recueil de Jurisprudence de la CCJA, n°5, janvier. juin 2005, vol. 2, p.9 : en l’espèce, la cour a confirmé une décision d’appel octroyant une indemnité d’éviction au preneur malheureux après avoir relever, sur la base des plans et devis versés au dossier de la procédure, que le bailleur « a décidé de démolir son immeuble pour le reconstruire selon un plan différent du premier » ; Même si le locataire venait à contester le congé régulièrement servi, c’est à bon droit que le renouvellement lui serait refusé. Seulement, dans cette hypothèse, c’est encore à bon droit qu’il lui serait versé une indemnité d’éviction, CCJA, arrêt n°030/2007 du 22 novembre 2007, Note J. Kom dans cet ouvrage. Contra : CA de Yaoundé, arrêt n°282/civ., 23 juin 2004, Société Chinatown SARL c/ Meuyou Michel, Juridis Périodique n° 72, octobre- décembre 2007, p. 99, note F. Anoukaha. En l’espèce, le preneur avait violé les obligations contractuelles en cédant le bail sans en informer le bailleur qui entendait exercer sa reprise pour reconstruire. L’expulsion du locataire a été prononcée sans indemnité d’éviction) , soit par l’usage qu’ils font de cette propriété commerciale (il a ainsi été décidé que Lorsque le preneur d'un bail commercial reconnaît devoir 33 mois de loyers impayés, qu'il perçoit des loyers de sous-locataires dont il ne reverse rien au propriétaire, la résiliation du bail et l'expulsion doivent être ordonnées et l'exécution provisoire ordonnée, Tribunal de commerce de Bamako, jugement n° 116 du 29 mars 2000, Archevêché de Bamako c/ Ibrahim Sylla, Ohadata J-02-42 ; dans le même sens, Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement du 10 juillet 2002, Hoirs Seynabou Bass contre Astou Sow, Ohadata J-03-40), soit encore pour faire évoluer le loyer par rapport à l’environnement économique comme c’est le cas en l’espèce. La fixation du loyer initial est une expression de la liberté contractuelle (F. Dekeuwer-Défossez, Droit commercial, 5e éd., Montchrestien, n°386). Cette liberté innerve également la détermination du loyer de renouvellement du bail commercial. Les parties peuvent ainsi insérer dans leur contrat une clause recette, une clause d’indexation (Joël Monéger, note sous Cass. 3e civ., 27 janv. 1999, SA Intexal et A. c/ Sté Centre commercial de la Défense, RTD Com. 1999 p. 368), ou toute autre référence permettant de réviser le loyer automatiquement sans qu’on ait à recourir au jeu des mécanismes de révision légale. Lorsque c’est le cas, la stipulation contractuelle s’impose à elles et tient lieu de loi à leur égard dans les termes de l’article 1134 C.civ. Ainsi a-t-il été décidé que les parties ayant inséré dans les seuls protocoles d’accord, dûment signés d’elles, des stipulations relatives à la modification du loyer objet du bail, seules ces clauses doivent trouver application pour la révision des loyers, les conventions légalement formées tenant lieu de loi à ceux qui les ont faites (CCJA, arrêt n°4 du 09 mars 2006, Aka Belinda c/ Société ivoirienne de promotion de promotion de supermarché dite PROSUMA, obs. A. Foko, dans cet ougrage.) Toujours en ce sens, le contrat de bail ayant prévu la date à laquelle une révision était envisageable, le bailleur ne pouvait pas procéder à une révision du loyer avant cette date (Tribunal de première instance de Gagnoa, jugement n°61, 18 juin 2001, F.Y c/ La Coopec de Guiberoua, Le Juris Ohada, n°1/2005, janvier-mars 2005, p. 48, ohadata, J-05-197). Mais cette liberté contractuelle est limitée par un statut légal partiellement d'ordre public, caractérisé par une réglementation très contraignante (Séverine Werthe Talon, Loyer de renouvellement du bail commercial : une liberté contractuelle illimitée ?, D. 2004 p. 2221 ; Joël Monéger, Baux commerciaux : statut ou liberté contractuelle, AJDI 2000 p. 484 ; Louis Rozès, L'exception locative française, AJDI 2000 p. 480). Le désir n’est pas seulement de protéger le preneur. Il a même été jugé en droit français qu’en présence d’une clause d’échelle mobile, le bailleur peut encore demander l’adaptation du loyer du bail commercial à la valeur locative lorsque le jeu de l'échelle mobile entraîne déjà une hausse supérieure à 25% (Cour de cassation, 3e civ., 16 juin 1993,D. 1993 p. 168). Il s’agit d’une application de l’article 28 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 qui dispose que par dérogation à son article 27, si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision pourra être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouvera augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ; le juge devra adapter le jeu de l'échelle mobile à la valeur locative au jour de la demande. En revanche, lorsqu’aucune prévision contractuelle n’a été établie, la révision du loyer du bail commercial obéit au jeu des mécanismes légaux. Et s’agissant d’un droit subjectif, les titulaires doivent savoir l’exercer, le cas échéant, ne pas se prévaloir d’une augmentation « faute par le requérant de produire une déclaration verbale de bail sur l’avenant constatant l’augmentation sollicitée » (TGI de la Menoua, jugement n°02/CIV/TGI du 10 octobre 2005, affaire Kendem Maurice c/ Amicale la Renaissance représentée par Dongmo Etienne, Ohadata J-07-43). Cet arrêt rendu le 03 juillet 2008 par la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, deuxième chambre, confirme le principe selon lequel en l’absence de stipulation contractuelle conséquente, la révision du loyer du bail commercial répond à des critères appréciés discrétionnairement par les juges du fond. Si la liberté contractuelle reste illimitée en la matière (cass. Civ. 3e, 10 mars 2004, D. 2004, AJ, p. 878, obs. Y. Rouquet ; Séverine Werthe Talon, Loyer de renouvellement du bail commercial : une liberté contractuelle illimitée ?, D. 2004 p. 2221), sa carence restaure au juge un pouvoir d’opportunité étroitement encadré. Les faits ayant donné lieu à cette décision sont les suivants : le 30 janvier 1991, la société Burkina et Shell a pris à bail un terrain nu de 2020 m2 appartenant en propriété au sieur Ouedraogo Sibiri Philippe à raison de 100.000 francs cfa le loyer mensuel. Le 26 février 2002, le bailleur manifeste sans succès au locataire son intention de réviser le loyer à la hausse en le portant à 800.000 francs cfa. Face au mutisme du locataire, celui-ci saisit le tribunal de grande instance de Ouagadougou pour faire entendre sa cause. Bien plus, pour éviter pareille situation, le bailleur souhaite que soit dit dans la décision que le loyer sera révisé à concurrence de 30% de son montant en cours à l’expiration de chaque période triennale. Le tribunal accède partiellement à la demande en relevant le loyer à 400.000 francs. Le reste des prétentions est simplement rejeté. Suite à l’appel du locataire, la décision d’instance est confirmée par la cour d’appel de Bamako. Il est en effet reproché à l’arrêt querellé d’avoir, d’une part, tenu compte de l’exploitation complémentaire pratiquée sur le terrain en l’occurrence les constructions et installations nécessaires à la vente de produits pétroliers réalisées par le locataire alors que le contrat initial portait sur un terrain nu dont seule la valeur locative devrait servir de référence à la révision. D’autre part, l’idée de révision intervenant dix ans après la conclusion du bail initial, la base de la révision est contestée dans la mesure où elle ne s’inscrit pas dans la fourchette de 25% prescrite par l’article 21 du décret n°52-765 du 30 juin 1952 réglementant les rapports entre locataires et bailleur en ce qui concerne le renouvellement des baux d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal en Afrique occidentale française. La cour commune de justice et d’arbitrage, au visa de l’article 85 de l’Acte uniforme portant droit commercial général, confirme la décision d’appel querellée en précisant que « non seulement cet article 85 donne un pouvoir discrétionnaire aux juges du fond, mais il fixe également la liste des éléments dont le juge tient compte et de laquelle est exclu le montant du taux de variation de 25% prescrit par le décret n°52-765 du 30 juin 1952 ». Cette position confirme une révision judiciaire du loyer du bail commercial de plus de 300% et indique s’il en fallait l’étendue du pouvoir discrétionnaire conféré aux tribunaux en la matière. La solution se justifie certainement. Mais au fond, l’arrêt manque de consistance dans la mesure où la cour n’a pas tranché voire a éludé la délicate question de la prise en compte voire de l’influence des constructions réalisées par le preneur sur l’immeuble objet du calcul du nouveau loyer. Comment déterminer la valeur du loyer du bail commercial renouvelé lorsque le preneur a réalisé des constructions sur le terrain du bailleur ? (V. Tellier, L'accession immobilière et le renouvellement du bail commercial, D. 2007 p. 1188). La problématique ici renvoie à la question fondamentale de la méthode judiciaire de fixation du loyer à la valeur locative. Il s’agit pourtant d’une question importante destinée à éclairer les preneurs de longue durée sur la prise en compte des investissements apportant une plus value à l’immeuble loué dans la détermination des montants ultérieurs du loyer à l’occasion du renouvellement du bail. Cette préoccupation invite à s’étendre davantage, du moins, à opérer un retour sur la notion de valeur locative notamment lorsque l’objet du bail porte sur un terrain nu sur lequel a été édifié les constructions. Il reste que, lorsque les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord, cette valeur locative doit être opportunément appréciée par les juges conformément aux critères retenus dans


l’Acte uniforme relatif au droit commercial général. Finalement, la fixation du loyer du bail renouvelé est confiée par l’Acte uniforme au pouvoir discrétionnaire du juge (I) auquel l’arrêt commenté offre l’occasion de scruter l’exercice qu’il en fait (II).


I. Le pouvoir discrétionnaire du juge dans la fixation du loyer renouvelé L’article 85 AUDCG énumère de façon simplement indicative les critères auxquels les tribunaux doivent se référer pour fixer le loyer du bail renouvelé. L’emploi de l’adverbe notamment en est une illustration évidente, justifiant que le juge, lorsque les circonstances le permettent, puissent faire valoir son sens de créativité et de dynamisation du droit en créant de critères nouveaux. Les critères annoncés à l’article 85 portent sur la situation des locaux, leur superficie, l’état de vétusté, le prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le voisinage pour les locaux similaires. Ils constituent ce qui est qualifié de valeur locative. Il s’agit d’une référence destinée à orienter le juge pour déterminer le montant des loyers des baux à renouveler ou à réviser. A l’observation, il se dégage deux éléments tenant au local considéré et deux éléments tenant à son environnement. Dans l’ensemble, on remarque l’insuffisance des éléments définissant la valeur locative. Il est question à partir des hypothèses de résoudre les équations qu’impose la mathématique des baux commerciaux (J. Monéger, La mathématique des baux commerciaux, in Drôle(s) de droit(s), Mélanges en l’honneur de Elie Alfandarie, Dalloz, p. 117). Le constat de l’auteur est clair : « les équations du droit donnent des résultats en termes monétaires » (J. Monéger, La mathématique des baux commerciaux, op. cit ). D’une part, La valeur locative n’intègre pas le chiffre d’affaires réalisé par le preneur. Pourtant il faut parvenir au prix du marché. Lorsqu'un locataire prend à bail des locaux, il examine avant tout, pour accepter tel ou tel montant de loyer, le chiffre d'affaires qu'il espère réaliser dans les lieux loués, les résultats escomptés, ses marges. Ainsi, dans la réalité du marché, la valeur locative dépend directement du chiffre d'affaires du locataire. Mais en se référant au prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le voisinage pour les locaux similaires, on peut parvenir à établir un prix conforme à l’indice du marché. il s’agit d’une simple espérance, car le constat est fait que les hausses excessives ne pouvant résulter que de nouveaux baux, leur effet est relativement tempéré par leur caractère minoritaire au sein de l’ensemble des prix pratiqués par le voisinage (F. Dekeuwer-Défossez, Droit commercial, op.cit, n°387). D’autre part, l’arrêt de la CCJA manque de motivation. Aucune precision n’est faite concernant les améliorations apportées aux lieux loués par le preneur au cours du bail à renouveler. L’arrêt querellé illustre cette hypothèse dans la mesure où le preneur a pris à bail un terrain nu sur lequel il a édifié une station d’essence comprenant 6 pompes, une boutique de lubrifiants, un magasin, un compartiment de lavage de véhicules et un compartiment dans lequel se font les graissages ainsi qu’un kiosque à café, un restaurant et un télécentre. L’arrêt de la CCJA aurait gagné en pertinence si la haute juridiction apportait des précisions sur le régime des constructions réalisées par le preneur. Il aurait été opportun que la décision rendue indique s’il a été ou non pris en compte ces améliorations dans le calcul du nouveau loyer. Ce qui est discuté ici est la prise en compte des constructions dans le calcul du nouveau loyer. Au fond, cette préoccupation soulève la problématique de l’accession immobilière lors du renouvellement du bail. Evidemment, s’agissant d’un nouveau bail, on est fondé à croire que le bailleur doive tenir compte de l’état actuel de l’immeuble. Mais, cette position perd de vue l’enrichissement apporté à l’immeuble. Les Etats membres de l’OHADA appliquant dans une grande majorité le code civil napoléonien, les juge de la CCJA auraient du invoquer la disposition de l’article 555 dudit code qui règle le sort des constructions et ouvrages faits par un tiers sur le terrain d'autrui. Le propriétaire du sol a le choix, en cas de mauvaise foi du constructeur, de conserver la construction ou d'en demander la démolition. Pour l’application de cet article 555, preneur et bailleur sont certes parties au contrat mais, dès lors que la convention n'a pas réglé l'avenir des constructions, la question sort de la relation contractuelle. Puisque sur ce sujet le contrat est muet, les parties redeviennent tiers l'une par rapport à l'autre. En droit français, l’article 23-3 al 2 du décret du 30 septembre 1953 tel que modifié par le décret n°72-561 du 3 juillet 1972 prescrit que « les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, (...), le bailleur en a assumé la charge ». Ainsi, le bailleur ne peut bénéficier du déplafonnement en invoquant les travaux réalisés par le preneur lorsqu'il n'a pas participé à leur financement (Véronique Tellier, L'accession immobilière et le renouvellement du bail commercial, D. 2007 p. 1188 et s.). La jurisprudence semble ne pas admettre cette éventualité en droit OHADA. Le tribunal régional hors classe de Dakar affirme en ce sens que, « conformément aux dispositions de l’article 85 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, l’expert n’a pas à prendre en compte l’amélioration des lieux dont la charge est rapportée par le preneur » (Tribunal régional hors classe de Dakar, n°153 du 22 janvier 2002, Kamil Akdar c/ Mohamed Fettouny, Ohadata J-05-58). Cette position ne semble pas équitable. Comment comprendre que la révision du loyer de renouvellement prenne en compte l’état de l’immeuble sans considérer que cet état, apprécié au jour du renouvellement a connu des améliorations du fait du preneur ? Le problème ne se poserait pas si cette amélioration découle des travaux réalisés par le bailleur.


Mais lorsqu’elles sont le fait du preneur, on peut regretter que la législation OHADA ne soit pas incitative. Cette logique juridique conduit à une polarisation des difficultés. Sauf à rechercher un certain statut quo caractérisé par le refus systématique des bailleurs à toute initiative d’amélioration et d’extension des lieux loués. En effet, lorsque ces améliorations sont effectuées sans réserve des bailleurs, le problème est reporté à la fin du contrat et ainsi, le bailleur court de grosses indemnisations sans qu’il soit garanti qu’il dispose de telles sommes au moment indiqué. Le droit OHADA ne se préoccupe des améliorations apportées à l’immeuble loué qu’à la fin du contrat de bail. Aux termes de l’article 99 de l’AUDCG, « Le preneur sans droit au renouvellement, quel qu’en soit le motif, pourra néanmoins être remboursé des constructions et aménagements qu’il a réalisés dans les locaux avec l’autorisation du bailleur. A défaut d’accord entre les parties, le preneur pourra saisir la juridiction compétente dès l’expiration du bail à durée déterminée non renouvelé, ou encore dès la notification du congé du bail à durée indéterminée ». Il s’en suit qu’à défaut d’accord entre les parties, l’ex- locataire doit saisir la juridiction nationale compétente. Si Le bail prévoyant que tous travaux et embellissements faits par le preneur, même avec l’autorisation du bailleur, resteront à la fin du bail, la propriété de celui-ci, sans le versement de la moindre indemnité ; il s’ensuit que le preneur n’a droit à aucune indemnité pour les constructions réalisées par lui sans l’autorisation du propriétaire (CA Port-Gentil, 9-12-1999, Sté Kossi c/ Paroisse Saint-Paul des Bois, Penant n°837, septembre-décembre 2001, p. 345 ; www.ohada.com , Ohadata J-02-45). En revanche, lorsque le contrat de bail ne contient aucune stipulation en ce sens et que les travaux ont été réalisés sans aucune réserve du bailleur, c’est à bon droit que lesdits travaux évalués par un expert soient homologués et le bailleur condamné à payer la somme représentant le montant des frais des travaux et aménagements faits (CS de Côte d’Ivoire, Chambre judiciaire, formation civile, arrêt n° 447 du 8 juillet 2004, Kouamé Aduo Luc c/ El Barie Mohamed, Actualités Juridiques, n° 49, 2005, p. 223, Ohadata J-05-354). Par ailleurs, la prise en compte des facteurs locaux de commercialité qui s’induit de la situation des locaux n’est pas étroitement encadrée en droit OHADA. Cette prise en compte n’est sujette à aucune condition comme une modification matérielle notable par exemple. Il est vrai que le recours à un concept tout aussi vague est de nature à alimenter le contentieux. Mais il s’agit également d’un mécanisme de rigueur, limitant sérieusement les augmentations fantaisistes du loyer à renouveler (Marie-Laurence Sainturat, La révision à la baisse du loyer ne peut intervenir qu'en présence d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, D. 2001 p. 1798). La requérante soutient pourtant en l’espèce que le terrain litigieux n’est pas situé dans un centre commercial. Le juge ne s’étend pas sur cet argument. Dans l’hypothèse d’un arrêt de principe, on peut regretter cette absence de pédagogie jurisprudentielle.


Quid de la diminution de l’immeuble loué notamment par la faculté de reprise des locaux accessoires pour des raisons d’habitation (Voir art. 96, AUDCG : Le bailleur peut en outre, sans versement d'indemnité d'éviction, refuser le renouvellement du bail portant sur les locaux d'habitation accessoires des locaux principaux, pour les habiter lui-même ou les faire habiter par son conjoint ou ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint). En France, La loi ENL du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, créé un article L. 145-23-1 et modifie l'article L. 145-4 du Code de commerce. A son article 45, il autorise, dans des conditions bien déterminées, les propriétaires de locaux d'habitation donnés en location accessoires à des locaux commerciaux à les reprendre, sans indemnité, en vue de leur remise sur le marché locatif. Les locaux concernés sont des locaux d'habitation désignés comme tels dans le bail et affectés à cet usage (J.-P. Blatter, Loi ENL et baux commerciaux : AJDI 2006, p. 625). Cette reprise partielle a des conséquences sur le montant du loyer. Le dernier alinéa de l'article L. 143-23-1 du Code de commerce dispose qu'en cas de reprise, le loyer du bail est diminué pour tenir compte des surfaces retranchées. Cette disposition presque anodine sera pourtant un véritable terrain de bataille. Même s’il est précisé que cette reprise ne constitue pas en elle-même une modification notable des éléments de la valeur locative, rien dans la loi ne semble s'y opposer. Si le fonds est de ceux pour lesquels un bail conférant un droit au logement dans une partie accessoire de l'immeuble est très important (bar, pharmacie, etc.), il ne fait pas de doute que l'exercice du droit de reprise aura un effet sensible (H. Kenfack et J. Monéger, Chronique sur le bail commercial, La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 24, 15 juin 2007, 1192, spéc. n° 10). Pour autant, le pouvoir discrétionnaire laissé aux mains des juges par l’Acte uniforme relatif au droit commercial général devrait être utilisé pour compléter les carences légales pour que les solutions prononcées soient plus équitables. II. L’exercice de son pouvoir discrétionnaire par le juge En cas de désaccord entre les parties sur le nouveau montant du loyer, il revient au juge de fixer le montant en tenant compte de la situation des locaux, de leur superficie, de leur état de vétusté et du prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le voisinage pour des locaux similaires et en usant de son pouvoir discrétionnaire (CA d’Abidjan, arrêt n° 236 du 10 février 2004, Société de coordination et d’ordonnancement Afrique de l’Ouest c/ Caisse autonome d’amortissement,Ohadata J-04-495). Le juge de l’OHADA ne connaît pas de limite objective dans son rôle de fixation du montant du nouveau loyer. A la limite, le droit OHADA n’offre pas un encadrement étroit de la réglementation des loyers de renouvellement des baux commerciaux. Les critères de références énumérés ne sont qu’indicatifs et ne permettent en réalité pas de niveler autrement les prix. Aucun plafond ne lui est imposé. Le droit antérieur notamment l’article 21 du décret n° 52-765 du 30 juin 1952 réglementant les rapports entre locataires et bailleurs en ce qui concerne le renouvellement des baux d’immeubles ou des locaux à usage commercial, industriel ou artisanal en Afrique occidentale française, disposait que le taux de variation du coût des loyers ne peut excéder 25%. Ce décret ainsi que la disposition annoncée ont été abrogés avec l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme portant droit commercial général. En effet, les dispositions de l’article 85 AUDCG sont d’ordre public (Voir art 102 AUDCG, Cf. les observations sous cet article précisément la jurisprudence sur la question in OHADA, Traités et actes uniformes commentés et annotés, Juriscope 2008). Mais les parties peuvent librement s’inspirer de la loi nationale dans les stipulations de leur contrat pour prévoir l’échelle de révision du bail conclu. Il a été décidé que lorsque les parties en ont convenues, la clause de révision contenue dans un contrat de bail commercial prescrivant la révision de loyer dans les conditions prévues par la loi nationale n’est pas contraire à l’Acte uniforme relatif au droit commercial général (CCJA, arrêt n°4 du 09 mars 2006, A.B c/ Société ivoirienne de promotion de promotion de supermarché dite PROSUMA, note A. Foko dans cet ouvrage). En revanche, ce plafonnement reste de mise en droit français. L’article 23-6 du décret du 30 septembre 1953 tel que modifié par la loi n°88-18 du 5 janvier 1988 dispose que « le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d’effet du bail à renouveler, si sa durée n’est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation de l’indice national trimestriel mesurant le coût de la construction publié par l’institut national de la statistique et des études économiques intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré …». La doctrine s’accorde à dire que c'est un mécanisme qui limite les augmentations de loyer (Jehan-Denis Barbier, Le loyer entre plafond et marché, AJDI 2000 p. 495). Même le déplafonnement étroitement encadré par cet article a été jugé à plusieurs reprises difficilement admissible car, en procédant ainsi, les parties restreignent le droit de jouissance du locataire (Cass. 3e civ. 16 juillet 1986, Gaz. Pal. 1987, 1, p. 17, note J.-D. Barbier ; CA Paris 26 mai 1994, Loyers et copr. 1994, n°344, note Ph.-H. Brault ; Christophe Denizot, Le déplafonnement du loyer du bail renouvelé nécessite une modification notable, AJDI 2005, p. 27 ; Yves Rouquet, Déplafonnement : les travaux d'amélioration réalisés par le locataire ne peuvent être pris en compte que lors du second renouvellement, D. 2001 p. 310). Commentant la jurisprudence, un auteur observera d’ailleurs que le plafonnement est désormais traqué par la cour de cassation (Cass. 3è civ., 13 juil. 1999, JCP E 1999, p. 1923, note J. Monéger ; V. J. Monéger, Douze ans de baux commerciaux- 1993-2005, 2e éd. Litec 2006, n° 330). En observant que l’indice peut varier en sens contraire que la valeur locative, la doctrine a affirmé dans cette occurrence, la variation du loyer révisé n’a pas de bon sens (J. Monéger, La mathématique des baux commerciaux, op.cit, p.141). La cour de cassation vient de le redire clairement dans un arrêt du 16 décembre 1998 en énonçant : le loyer révisé devait être égal à la valeur locative, celle-ci eut-elle varié en sens inverse de l’indice » (Civ. 3e, SCI de l’Hôtel de ville de Saint-lô c/ Sté Leroy distribution : Juris-Data, n° 004836, Bull civ. III, n° 246; D. affaires 1999, p. 407, obs. Y.R ; RTD imm. 1999, p.323, obs. J. Derruppé). Cette recherche du bon sens laisse penser et légitimement, que l’ouverture et la liberté offerte au juge de l’OHADA qui ne se réfère qu’aux déterminants locatifs, conduiraient à la fixation d’un loyer caractérisant un équilibre. N’a-t-il pas été observé que « la propriété commerciale s’explique par la recherche d’un équilibre contractuel » (E. Alfandari, Droit des affaires, Litec, Paris, 1993, n°305). Le juge de l’OHADA peut donc parvenir à la fixation d’un prix du marché s’il s’inspire essentiellement du dernier élément de l’article 85 à savoir le prix des loyers commerciaux couramment pratiqués dans le voisinage pour les locaux similaires. Il a ainsi été décidé que le loyer pouvait connaître une augmentation lorsqu’il n’est sérieusement contesté que l’ensemble des loyers a connu une augmentation sensible, du fait de la situation économique générale marquée par une élévation des coûts (CA d'Abidjan. n° 1009, 14 novembre 2000, Société des Transports Saint Christophe c/ Société Serifa, Le Juris-Ohada, n°3/2003, Ohadata J-03-114). Les motifs du juge d’instance dans l’espèce commentée révèlent remarquablement la recherche d’une justice économique et la volonté de parvenir à un prix du marché, orienté vers les pratiques de voisinage : « Attendu que le bailleur produit au dossier des procès-verbaux de constat, d'autres locaux similaires situés à Ouagadougou et loués par des sociétés pétrolières de la place ; que les taux pratiqués sont partout supérieurs à celui concernant Ouedraogo Sibiri Philippe, d'abord en ce qui concerne la superficie du terrain qui est de 2020 m2 ; attendu qu'outre l'objet initial qui était la vente de produits pétroliers, Burkina et Shell a édifié d'autres constructions sur la parcelle pour autres exploitations en l'occurrence un télécentre secrétariat public, un kiosque à café, une débiterie (vente de viande grillée) et un restaurant ; que cette exploitation complémentaire constitue une autre utilisation des lieux loués qui profite exclusivement au locataire ; que cet état de fait constitue une injustice pour le bailleur et doit être réparée » (TGI Ouagadougou, jugement n°236, 14 mai 2003, Ouegraogo Sibiri Philippe c. Burkina et Shell, Ohadata J-04-243 ; Dans le même sens, TPI Cotonou , jugement n° 018/ 2ème C-Com du 10 mai 2001 ; R.G. n°021/2000, Madame Adjaohoun Odette c. Héritiers Assouramou Mathias, Ohadata J-04-401 ; TPI Bangangté,n°10/Civ,17 avril 2003, affaire Tchoumba Dieudonné c. Société G.D.B, Ohadata J-05-166 ). Il revient aux juridictions, dans le cadre de l’usage de leur pouvoir discrétionnaire d’appréciation, de ne pas perdre de vue l’enjeu essentiel de la réglementation du bail commercial. Il s’agit en tout point de vue de protéger le locataire commerçant, la fixation judiciaire du loyer commercial étant liée à la propriété commerciale. C’est bien la modération du loyer lors du renouvellement du bail qui constitue le principal instrument de protection de cette propriété (Catherine Saint Geniest-Combastet, La dualité de valeurs : La fixation par le juge des loyers, AJDI 2003 p. 905 ; Michel Nicodème, Comment estimer les valeurs locatives ? L'importance des valeurs de marché, AJDI 1996 p. 673). S’agissant d’une matière faisant intervenir des notions économiques, les juges peuvent solliciter l’avis d’experts. Ces derniers devraient dans tous les cas établir un rapport fondé sur les éléments d’appréciation déterminés à l’article 85 précité. C’est en ce sens qu’il faut comprendre le jugement du tribunal régional hors classe de Dakar qui décide que « Le rapport d’expert fondé sur des éléments d’appréciation ainsi précisés et sur la surface des locaux peut être homologué valablement et le taux du loyer ainsi déterminé applicable à compter du jugement » (TRH Dakar, 2 juillet 2002, Moussa Ndiaye et Seynabou Seye contre GIE PROMO Ciné). René Njeufack Temgwa, Chargé de cours, Université de Dschang.



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