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LES CONDITIONS DE FOND DE CREATION DE LA LETTRE DE CHANGE (DROIT UEMOA SUR LES SYSTEMES DE PAIEMENT)

A la lecture de l’article 149 du règlement N°15 qui prévoit les mentions devant figurer sur la lettre de change, il n’apparait aucune condition de fond pour la création du titre. Ce qui permet de dire que la lettre de change est un titre formaliste. Mais ce formalisme cambiaire exprimé dans l’article 149 n’empêche pas d’évoquer la validité de la signature de la personne qui prend l’initiative d’émettre la lettre de change. Cette nécessité s’explique en effet par le fait que la signature d’une lettre de change est un acte de commerce c.à.d. un acte juridique qui pose le problème de l’aptitude de son auteur à le faire. En effet le tireur doit avoir la capacité ou le pouvoir de signer la lettre de change. La solution est la même pour toute autre personne signataire du titre ; que celle-ci intervienne comme endosseur-accepteur ou avaliste.

Les conditions de fond relativement à la lettre de change doivent être analysées d’une part par rapport à la capacité du tireur et d’autre part par rapport aux pouvoirs de celui-ci.


I- La capacité du tireur.

La signature par le tireur d’une lettre de change étant un acte de commerce, du point de vue pratique, il peut se poser le problème de la signature d’une lettre de change par un mineur ou le problème de la signature d’une lettre de change par un majeur incapable.


A- La signature d’une lettre de change par le mineur.

L’article 153 interdit formellement la signature d’une lettre de change par le mineur. Le texte dispose que : « Les lettres de change souscrites par les mineurs non négociants sont nulles à leur égard, sauf le droit respectif des parties conformément au droit commun »

L’interdiction énoncée par le texte s’applique aux mineurs non émancipés. Cependant il exclut de son domaine d’application les mineurs commerçants. Ainsi il faut comprendre qu’aucun mineur des catégories visées par le texte ne peut émettre valablement une lettre de change même s’il s’agit d’une opération pour laquelle il est capable sur le terrain du droit commun.

A cet effet, la sanction retenue par l’article 153 doit être considérée comme une nullité relative c.à.d. une nullité de protection du mineur.

A l’analyse, on peut affirmer que l’article 153 doit être invoqué à l’encontre de tout porteur fut il de bonne foi. Cette affirmation peut se justifier par le recours à cette expression utilisée dans le texte : « à leur égard »

Cette affirmation faite, il est important de savoir que la protection accordée au mineur doit être précisée sur certains points :

- La nullité étant retenue, celle-ci est opposable à tout porteur même si celui-ci est de bonne foi.

- Si la signature de la lettre de change par le mineur lui procure un enrichissement sans cause, il doit le restituer.

- Sur le fondement de l’article 32 de la loi ivoirienne de 1970 relative la minorité, si le mineur se rend coupable d’un dol à l’occasion de la signature de la lettre de change, il doit réparer le préjudice causé par son fait au porteur de bonne foi.

Il est aussi possible pour le porteur de bonne foi d’engager la responsabilité extra-cambiaire du mineur.


B- La signature d’une lettre de change par le majeur incapable.

Il y a certainement un silence du règlement N° 15 relativement à la signature d’une lettre de change par le majeur incapable. Cependant par analogie, avec la situation du mineur, les solutions suivantes ont été retenues :

- Le majeur sous tutelle ne peut pas signer une lettre de change.

- Le majeur sous curatelle ne peut le faire qu’avec l’assistance de son curateur.

Ces deux (2) règles relatives aux majeurs sous tutelle et aux majeurs sous curatelle sont sanctionnées par la nullité. Il s’agit également d’une nullité relative c.à.d. une nullité de protection.


II- Le pouvoir du signataire.

La question relative au pouvoir du signataire se pose lorsque celui qui signe effectivement la traite n’agit pas pour lui-même mais pour le compte d’autrui. Il existe en effet deux (2) procédés de signature pour le compte d’autrui et que l’on retrouve dans la pratique lors de l’émission d’une lettre de change. Il s’agit du tirage par mandataire d’une part et du tirage pour compte d’autre part.


A- Le tirage par mandataire

Le tirage par mandataire est un procédé qu’utilise généralement un commerçant à l’occasion de son activité en désignant un mandataire parmi ses employés pour émettre et signer les lettres de change en son nom et pour son compte. L’employé ainsi désigné va apposer sa signature sur les traites en faisant précéder celle-ci d’une mention qui précise qu’il agit par procuration ; par conséquent, les règles applicables à cette signature sont celles du mandat du code civil. Ceci explique que l’employé mandataire qui a signé une lettre de change n’est tenu d’aucune obligation car c’est plutôt le commerçant-mandant qui sera obligé par cette signature. Dès lors, c’est ce commerçant qui sera tenu du point de vue du droit cambiaire. Cependant, sur cette question, l’article 153 donne une précision qui est la suivante : « le mandataire qui a excédé ses pouvoirs ou le prétendu mandataire qui se prévaut de la qualité de mandataire est lui-même engagé en vertu de la lettre de change alors que le mandant demeure non tenu par la signature de ce mandataire

Cette solution tirée de l’article 153 est cependant tempérée sur deux (2) points :

- On estime d’une part qu’il est possible en cas de décès ou d’absence de pouvoir que le mandant soit engagé s’il connaissait ou bien s’il a ratifié les agissements du mandataire.

- On estime également que l’engagement cambiaire d’un mandataire qui a excédé ses pouvoirs doit être limité uniquement au montant du dépassement de sorte que le mandant reste tenu dans les limites des pouvoirs qu’il a donné au mandataire.

Les dispositions relatives au tirage par mandataire s’appliquent aussi dans la situation dans laquelle les lettres de change sont émises ou signées par les employés d’une personne morale. Mais en ce qui concerne les dirigeants de la personne morale, des précisions méritent d’être mentionnées. En effet, lorsque les dirigeants de la personne morale ont par exemple des pouvoirs légaux à l’égard des 1/3, du fait que ces pouvoirs ne peuvent pas être repris par des clauses statutaires, la personne morale reste tenue sur la base du droit cambiaire même si le dirigeant, en signant la lettre de change, a dépassé ses pouvoirs.

La solution est la même lorsqu’il s’agit de dirigeants d’une S.A.R.L. ou de dirigeants d’une S.A. car les dispositions de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés dispose que : « les clauses statutaires limitatives des pouvoirs de dirigeants de S.A. et de S.A.R.L. sont inopposables aux tiers. »

Mais si les dirigeants de la personne morale n’ont pas de pouvoirs légaux à l’égard des 1/3, dans ce cas il reste à appliquer les règles du droit commun du mandat ainsi que les règles prévues à l’article 153 alinéa 3 du règlement N° 15.

B- Le tirage pour compte.

Le tirage pour compte se distingue du tirage par mandataire en ce sens que dans le tirage par mandataire, le mandataire indique qu’il n’est pas le véritable créateur du titre alors que dans le tirage pour compte, le tireur pour compte se présente comme le véritable créateur de la lettre de change qu’il signe en indiquant son nom. En effet, il ne doit pas apposer le nom de la personne qu’il représente en réalité.

Dans l’opération de tirage pour compte, la personne représentée par le tiers signataire du titre s’appelle le donneur d’ordre alors que celui qui signe le titre à partir de l’ordre qui lui est donné s’appelle le tireur pour compte.

L’opération de tirage de compte est prévue à l’article 153 alinéa 3. Le régime juridique qui lui est applicable tient compte des différents rapports qui se créent à l’occasion de l’émission de la lettre de change et de la circulation de celle-ci.

Ainsi dans les rapports du tireur pour compte et du bénéficiaire de la lettre de change ou des autres endosseurs, le tireur pour compte est considéré comme un tireur ordinaire. En conséquence, il est tenu envers tous les endosseurs et envers le dernier porteur du titre. Ceci signifie que le bénéficiaire ou les endosseurs du titre ne disposent pas d’action cambiaire contre le donneur d’ordre.

En ce qui concerne les rapports du donneur d’ordre et du tiré, les règles du mandat s’appliquent. Ainsi, le tiré qui a payé une lettre de change tirée pour compte alors même qu’il n’a pas reçu la provision peut se retourner contre le donneur d’ordre.

Dans les rapports entre le donneur d’ordre et le tireur pour compte s’appliquent aussi les règles du mandat. Ceci implique que le tireur pour compte répond des fautes commises dans l’exercice de son mandat. Par conséquent, il pourra se servir des termes de ce mandat pour refuser de payer le donneur d’ordre si toutefois les termes lui permettent de dégager sa responsabilité. Mais en tout état de cause, le tireur pour compte doit rendre compte au donneur d’ordre de la mission qui lui a été assignée.

Quant aux rapports du tireur pour compte et du tiré, l’article 155 alinéa 1er du règlement N°15, il précise que : « l’obligation du tireur pour compte n’existe qu’envers les endosseurs et le porteur »

En conséquence, le tiré qui paye une lettre de change tirée pour compte sans avoir reçu provision ne peut pas se retourner contre le tireur pour compte car il ne dispose que d’un recours contre le donneur d’ordre.


III- Le consentement

La seule signature obligatoire au tirage de la lettre de change est celle du tireur. En effet, la personne indiquée comme tirée n’est pas tenue de consentir à la création du titre.

Il en découle que c’est le tireur qui créée la lettre de change. C’est à lui donc de consentir à l’opération juridique de la lettre de change même si celle-ci a un caractère triangulaire.

Mais cette exigence du consentement est valable aussi pour toutes les autres personnes qui s’engageront en vertu de la lettre de change. Il s’agit :

-Du tiré accepteur,

-De l’endosseur

-Et du donneur d’aval

Un tel consentement requis du signataire doit répondre aux conditions générales du droit commun.

Ainsi, le consentement doit exister et être exempt de vices.

Quant aux vices du consentement, ils ne peuvent en aucun cas être opposés au porteur de bonne foi. Quoi qu’il en soit, la nullité de l’engagement qui résulte de l’absence de consentement ne ruine pas l’ensemble de l’opération cambiaire.


IV- La cause

En effet, la cause de la création de la traite par le tireur est bel et bien la provision qu’il a sur le tiré. Il importe d’envisager l’existence de la provision et la sanction de l’absence de provision.


A- L’existence de la provision

La lettre de change suppose l’existence d’une créance de provision. Celle-ci se définit comme la créance du tireur sur le tiré quel qu’en soit la cause.

La cause de cette créance de droit commun doit exister et être légitime.

*Existence de la provision : Il n’est pas obligatoire que la provision existe à la création de la lettre de change. La traite étant un instrument de crédit, la provision peut être fournie jusqu’au jour de l’échéance. Ainsi, si elle n’existe pas avant, le tireur s’engage à la fournir dès la signature de la traite.

Aussi, la provision est-elle constituée si au jour de l’échéance, le tiré est redevable du tireur d’une somme d’argent au moins égale au montant de la lettre de change.


*Exigence de la provision selon le règlement : Il résulte de la lecture de l’article 155 du règlement de 2002 que la provision consiste toujours en une créance de somme d’argent du tireur sur le tiré. Peu importe la « couverture » de cette créance : fourniture de marchandises, de services, prêt de somme d’argent, etc. Ainsi, cette créance de provision, qui peut être notamment celle du prix des marchandises ou de remboursement d’une ouverture de crédit, doit être disponible ( c’est à dire dans le commerce juridique) , certaine (ne fait pas l’objet de contestations), liquide (déterminée dans son montant) et exigible (à terme).

Le règlement prévoit que le porteur de la traite a des droits sur la créance de provision. La circulation du titre entraîne un transfert de cette créance au porteur successif. Mais il est difficile de déterminer les droits du porteur sur la provision si elle n’est pas encore constituée. C’est pourquoi on distingue selon que la lettre de change est ou non acceptée par le tiré.

- Si le tiré accepte, on considère que la provision est définitivement sortie du patrimoine du tireur pour être irrévocablement transmise au porteur.

- En revanche, si la traite n’est pas acceptée, les droits du porteur sur la créance de provision sont fragiles du fait que la circulation de la traite ne rend pas indisponible la créance de provision d’où la possibilité d’une compensation entre une créance du tiré sur le tireur et la créance de provision.

Il est toutefois possible au porteur de consolider ses droits sur la provision en faisant défense au tiré de payer une autre personne.


B- La sanction de l’absence de provision

Il faut envisager deux hypothèses : l’absence totale et l’absence partielle de provision.


1- L’absence totale de provision

a- L’effet de complaisance

*Définition de l’effet de complaisance : L’effet est de complaisance si la provision n’est pas constituée et que le tireur a conscience qu’elle ne le sera jamais. En émettant le titre cambiaire, le tireur a pour but de tromper les tiers d’autant qu’il sait que le tiré ne lui doit rien. Ce dernier entend simplement rendre service au tireur.


*Différence entre le chèque et la lettre de change quant à l’effet de complaisance : La différence entre le chèque et la lettre de change c’est que le premier ne peut être créé qu’en étant sûr de l’existence de la provision alors que la lettre de change peut se faire avant même la certitude de l’existence de la provision pourvu qu’elle existe à l’échéance du titre.

Qui détient le titre détient le droit. En générale, fait escompter le titre auprès d’une banque dans le but de mobiliser des fonds. Ainsi, grâce à la complaisance du tiré, le tireur peut arriver à se faire du crédit.


*Le mécanisme de la traite de complaisance peut prendre :

-La forme d’un « tirage renouvelé » : Autrement dit, il y a émission de plusieurs lettre de change successives et que le produit de l’escompte de chaque titre sert à payer le précédent ; on parle « d’effet de cavalerie ».

-La forme d’un « tirage croisé » : Dans une telle hypothèse, deux personnes tirent chacune sur l’autre une lettre de change identique.


*Sanction de l’effet de complaisance :

-Sanction de la nullité : Par rapport à la sanction qui frappe l’acte lui -même, il s’agit de la nullité de la lettre de change pour absence de cause.

-Les effets de la nullité : Pour les effets de la nullité, il faut opérer une distinction :

+Ainsi, à l’égard des tiers, la nullité est tributaire du droit cambiaire. Dès lors, la nullité liée à l’absence de provision n’est pas opposable au porteur de bonne foi.

Celui-ci peut exercer des recours en paiement contre tous les signataires qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi.

+Quant au porteur de mauvaise foi, il n’est pas protégé par le droit cambiaire. Sa situation est analogue à celle des rapports entre tireur complu et tiré complaisant. Il peut se voir opposer l’exception de nullité du titre pour défaut de provision.


b- La disparition de la provision avant l’échéance

La provision qui a existé peut avoir disparu avant l’échéance. Il y a deux solutions possibles :

- Soit le tiré a accepté la lettre de change, son acceptation le lie mais pas de la même façon selon que c’est le tireur ou un autre porteur.

S’il s’agit du tireur, la preuve de la provision par présomption a un caractère simple. Le tiré peut rapporter la preuve de l’absence de provision.

S’il s’agit d’un porteur autre que le tireur, le tiré ne peut lui opposer l’absence de provision en raison du caractère irréfragable de la présomption résultant de son acceptation.

- Soit le tiré n’a pas accepté la traite et il n’est tenu à l’égard de personne. C’est le tireur seul qui est engagé vis -à-vis du porteur.


c- La nullité de la provision

Lorsque la créance de provision est nulle, pour une cause illicite ou immorale, la provision n’existe pas valablement. Toutefois, l’exception fondée sur la nullité de la provision ne peut être opposée au porteur de bonne foi.

Elle opère un renversement de la charge de la preuve, c’est au tiré d’apporter la preuve la non existence de la provision.

Le tiré est étranger au mécanisme cambiaire.

La provision est toujours une créance de droit commun.


2- L’absence partielle de provision

Dans cette hypothèse, si le tiré n’a pas accepté la lettre de change, il n’est tenu que dans la mesure de la provision constituée. S’il a accepté la traite, il doit payer s’il a affaire à un porteur de bonne foi autre que le tireur.

A l’égard du tireur, le tiré n’est tenu que dans les limites de la provision constituée.

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