Jusqu’aux deux arrêts du 17 mai 2013, la jurisprudence retenait, pour qualifier un ensemble contractuel, la notion d’interdépendance[1] ou celle d’indivisibilité[2], exigeant que les conventions concernées participent à une opération économique envisagée comme commune, tout en prenant en compte la volonté des parties de rendre les contrats en question interdépendants ou indivisibles[3], ou, au contraire, divisibles bien que concourant à la réalisation d’une même opération[4]. Répondant à une volonté d’uniformisation, la Cour de cassation réunie en chambre mixte a rendu, le 17 mai 2013, deux arrêts[5], portant sur des circonstances factuelles semblables, manifestement destinés à clore un débat jurisprudentiel et doctrinal sur cette notion d’interdépendance ou d’indivisibilité des contrats. Par ces deux arrêts, la chambre mixte de la Cour de cassation a apporté une réponse au problème essentiel et récurrent de l’interdépendance contractuelle, en précisant de manière non équivoque les conditions dans lesquelles les contrats s’inscrivant au sein d’une opération de location financière étaient interdépendants : « Les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ». L’interdépendance des contrats s’explique alors par le fait qu’il y’a une dépendance commune de plusieurs contrats appartenant à un même ensemble de contrat réalisant des opérations complexes. En effet, il est sans ignorer que cette question d’interdépendance contractuelle, principe défini par la Chancellerie de 2008 de réforme sur le droit des contrats en son article 13 et institué par ailleurs dans l’avant-projet sur la réforme du droit des obligations[6], revêt une importance capitale pour nous dans la mesure où cela constitue non seulement une innovation en droit des contrats, mais aussi met en exergue le pouvoir prétorien du juge en matière civile. En sus, appréhender cette notion nous permettrait d’avoir de plus amples informations sur la notion des contrats interdépendants et leurs conséquences en ce qui concerne l’exécution du contrat. Cependant, pour mieux développer ce sujet, il serait judicieux de s’interroger sur ces questions suivantes : Que recouvre la notion de l’interdépendance contractuelle et quels en sont les effets ?
Pour mieux cerner cette notion, nous tenterons de développer comme susmentionnée la question de la notion des contrats interdépendants avant de voir les effets de ceux-ci.
I- La notion de contrats interdépendants
Appréhender la notion de l’interdépendance contractuelle reviendrait à s’attarder sur les fondements ou les bases de cette notion avant d’analyser clairement les conditions de formations de ces contrats interdépendants.
A- Les fondements de la notion de l’interdépendance contractuelle
Il est indéniable que cette innovation en matière de droit des obligations découle du pouvoir prétorien du juge. Les sources de l’interdépendance contractuelle sont donc essentiellement jurisprudentielles. Cependant, c’est par le biais des deux arrêts rendus par la chambre mixte qu’a été véritablement initiée cette notion. Mais d’autres décisions sont intervenues pour corroborer ce principe.
1- Les deux arrêts de principe de la chambre mixte
C’est à travers deux arrêts rendus le 17 mai 2013 que la chambre mixte de la Cour de cassation a apporté une réponse au problème récurrent de l’interdépendance contractuelle, à l’origine d’un contentieux quantitativement important et d’appréciations jurisprudentielles parfois disparates.
Les deux espèces soumises portent chacune sur un ensemble de contrats comprenant un contrat de référence (dans un cas, une convention de partenariat pour des diffusions publicitaires, dans l’autre, un contrat de sauvegarde informatique) et un contrat de location financière du matériel nécessaire à l’exécution du premier contrat. Dans chaque espèce, un cocontractant unique, pivot de l’opération[7], s’est engagé avec deux opérateurs distincts : le prestataire de service, d’une part, le bailleur financier, d’autre part. A chaque fois, le contrat principal a été anéanti.
Dans la première affaire, la cour d’appel de Paris, retenant l’interdépendance des contrats, a écarté la clause de divisibilité stipulée par les parties et a prononcé la résiliation du contrat de location. Dans la seconde affaire, la cour d’appel de Lyon, statuant comme cour de renvoi après une première cassation, a écarté, au contraire, l’interdépendance des conventions.
La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a renvoyé les deux pourvois en chambre mixte.
La Cour de cassation vient préciser les éléments caractérisant l’interdépendance contractuelle, en qualifiant d’interdépendants, qualification soumise à son contrôle, les contrats concomitants ou successifs s’inscrivant dans une opération incluant une location financière.
En outre, s’inspirant de la jurisprudence de la chambre commerciale, elle juge que sont réputées non écrites les clauses de divisibilité contractuelle inconciliables avec cette interdépendance.
La chambre mixte rejette en conséquence le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Paris et casse l’arrêt de la cour d’appel de Lyon.
Par ces décisions, la Cour de cassation remplit pleinement son rôle normatif, de création prétorienne du droit, mais exerce aussi sa fonction régulatrice, visant à harmoniser la jurisprudence sur l’ensemble du territoire. Cette jurisprudence suscita des réactions, tant la solution apportée frappait par son caractère péremptoire[8]. Le principe affirmé dans ces deux arrêts a effectivement le mérite d’être clair : « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ».
2- Les autres fondements jurisprudentiels de l’interdépendance contractuelle
Plusieurs arrêts ont forgé et développé la question de l’interdépendance contractuelle depuis les arrêts de la chambre mixte. Ainsi, dès novembre 2013, la Cour de cassation reprenait in extenso la solution du 17 mai[9] dans une affaire comprenant un contrat de fourniture et d’intégration d’une solution de traçabilité, financé par un contrat de location financière[10].
En janvier 2014, s’agissant d’un contrat de location financière portant sur un équipement constitué d’un ensemble de matériels vidéos et informatiques dont le montant du loyer comprenait 15 euros au titre des frais de maintenance assurée par un prestataire distinct et perçus par le bailleur, pour le compte de ce prestataire (en l’espèce Siemens lease), la Cour estimait encore que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance »[11].
Ces différents cas semblent donc limiter l’intervention de la solution jurisprudentielle du 17 mai aux ensembles de contrats comprenant une location financière.
Par ailleurs, par un arrêt du 4 mars 2014, la Chambre commerciale (n°12-19.836) écartait l’application du principe d’indivisibilité des contrats dans une affaire où le locataire (LOA) d’un bateau de plaisance avait assigné son bailleur en annulation de la vente dudit bateau du fait de l’irrégularité d’un certificat nécessaire à son utilisation. Pour la Cour, la nullité rétroactive du contrat de vente initial avait « pour effet de remettre les parties dans la situation initiale, la nullité d’un contrat de bail emporte le droit pour le bailleur d’obtenir l’indemnisation de la jouissance du bien par le locataire ».
Ainsi, bien qu’écartant ce moyen, il semble patent que tout locataire désireux de se défaire d’un montage associant prestations de services et crédit-bail invoque la jurisprudence du 17 mai 2013 au soutien de ses prétentions.
Ce qui est clairement mis en exergue par cette jurisprudence, c’est que, dès lors qu’un ensemble contractuel associe prestations de service et locations de matériels (au sens large du terme), la notion d’interdépendance concurrence le concept de l’effet relatif des contrats.
Dans le même esprit, encore très récemment, dans une affaire contrat de location portant sur du matériel de géolocalisation comprenant une prestation de géolocalisation par un prestataire distinct du bailleur, la Chambre Commerciale a réaffirmé, par un arrêt du 14 octobre 2014 (n°13-20.188) le principe suivant lequel ce type de montage procède d’une volonté intrinsèque d’interdépendance, déclarant « que devaient être réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » pour sanctionner l’arrêt de la Cour d’Appel de Rennes.
En effet, alors même que ses arrêts étaient rendus au visa de l’article 1134 du Code civil, la Cour rejette l’idée même que, par une clause contractuelle librement consentie par les parties à un montage tel que décrit supra, celle-ci rendent inopérant l’économie de l’opération : on recherchera dès lors à trouver dans la volonté des parties des éléments innomés qui ont été déterminant pour au moins l’un des contractants et qui, après leur disparition ont ruiné l’économie du montage.
Il existe en outre, plusieurs autres arrêts qui ont énoncé et corroboré le principe de l’interdépendance contractuelle[12]. Qu’en est-il à présent des conditions d’existence des contrats interdépendants ?
B- Les conditions d’existence des contrats interdépendants
Outre les conditions de formation relative à tout contrat en matière civile[13], les contrats interdépendants se doivent de remplir certaines conditions subordonnées à leur existence.
1- Un ensemble contractuel
La notion d’interdépendance contractuelle suppose qu’il y’ait préalablement un ensemble contractuel. La notion d''ensemble contractuel permet de rattacher une série d'actes formellement distincts à une opération sous-jacente unique. C'est la réunion de différentes conventions et opérations qui parce qu'elles ont des traits en commun, notamment par les personnes qui les concluent, ou les exécutent, et par l'objectif auquel elles concourent, forment un tout, que l'on considère par lui-même. La notion "d'ensemble contractuel" a été consacrée par la Cour de cassation[14]. L'arrêt de principe concernant « l’ensemble contractuel indivisible » est un arrêt du 13 novembre 2003 de la première chambre civile de la Cour de cassation Cette décision confirme une jurisprudence bien établie[15] aux termes de laquelle il ne peut être considéré comme étant unilatérale une promesse de vente qui est dans un lien de dépendance avec un ensemble d'obligations contractuelles réciproques nées entre les parties concernées.
L’ensemble contractuelle suppose donc qu’il y’ait avant tout un ensemble de contrats et que ceux-ci aient un but commun ou visent la réalisation du contrat principal. Cependant, hormis l’ensemble contractuel, les contrats doivent contenir un ou plusieurs éléments pour leur formation effective.
2- Les éléments objectifs et subjectifs de formation des contrats interdépendants
La formation des contrats interdépendants nécessite la réunion ou la satisfaction de certains éléments dégagés par la chambre mixte sur les deux arrêts du 17 mai 2013. Bien avant leur apparition, la jurisprudence semblait, en effet, osciller entre une conception objective reposant essentiellement sur l’analyse globale de l’opération économique que les différents contrats qui la composent aident à réaliser[16] et subjective qui résulte de la volonté commune des parties de rendre les contrats indivisibles[17]. Ce qui est cocasse tient à ce que cette divergence de jurisprudence n’est pas la conséquence d’une opposition entre la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation : ces deux formations semblent, en effet, avoir tour à tour adopté les deux thèses mais en empruntant le chemin inverse. Mais d’aucuns admettent qu’au-delà des mots utilisés et des raisonnements adoptés, la jurisprudence fait, en réalité, preuve de pragmatisme, voire s’efforce de combiner les deux approches : l’idée serait que, certes, les tribunaux, pour caractériser l’indivisibilité, se fondent d’abord sur la volonté des parties mais, comme celle-ci est rarement exprimée, elle doit nécessairement être recherchée en s’appuyant sur des indices généralement constitués par des éléments purement objectifs. Ce flou jurisprudentiel, gênant pour les praticiens, a été finalement résolu par la chambre mixte par le biais de ce principe : « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ».
Ce qui frappe, c’est le caractère péremptoire de l’affirmation de la Cour de cassation, qui prend nettement parti pour l’approche objective de l’indivisibilité, laquelle tient à ce que les contrats en cause participent d’une même opération économique. Il n’est fait nulle part référence à la commune intention des parties. En fin de compte, l’élément sur lequel repose l’existence de l’interdépendance contractuelle, est l’élément objectif qui résulte en l’opération économique.
La notion de l’interdépendance contractuelle ainsi développée, quid de ses effets ?
II- Les effets de l’interdépendance contractuelle
L’interdépendance des contrats produit comme effet principal, celui de l’anéantissement du contrat accessoire par la résolution du contrat principal. Cependant, les juges de cassation, en établissant le principe de l’interdépendance contractuelle ont initié une règle qui répute non écrite toute clause contraire au principe, d’où l’atteinte au principe de la liberté contractuelle.
A- L’anéantissement du contrat accessoire par la résolution du contrat principal
L’effet principal de l’interdépendance contractuelle est l’anéantissement du ou des contrats accessoires par l’annulation, la résiliation ou la résolution du contrat principal. En effet, l’interdépendance contractuelle suppose qu’il y ait un ensemble de contrats, dépendant les uns des autres ou encore qu’il y’ait un contrat de référence, le contrat principal et d’autres contrats accessoires visant la réalisation dudit contrat principal. Or il existe un principe en droit selon lequel l’accessoire suit le principal. Dès lors, lorsque le contrat de référence ou le contrat principal est nul ou résolu, cela conduit inexorablement à la caducité des autres contrats dépendants de ce dernier. Faute est de remarquer que la plupart des prétentions des parties dans les décisions rendues par les juridictions sur la question des contrats interdépendants s’accentuaient autour de cette finalité, c'est-à-dire l’annulation du contrat accessoire. Il en est ainsi d’une décision du 10 Septembre 2015 (n°14-17.772) rendue par la Cour de Cassation qui se contentait de réaffirmer que « la résolution du contrat principal emportait l’anéantissement du contrat accessoire ». Cette résolution (anéantissement rétroactif du fait de l’inexécution par une des parties de ses obligations) du contrat principal semble, au regard des solutions précédentes, emporter la caducité des contrats accessoires[18], solution adoptée par la Cour d’appel dans le second pourvoi[19].
Par ailleurs, dans un arrêt du 2 avril 2015, la Cour d’appel d’Aix en Provence a tranché un litige concernant une société qui avait conclu un contrat de fourniture de matériel de téléphonie avec abonnement mensuel, un contrat de maintenance et un contrat de location financière avec trois cocontractants différents. Les juges ont considéré qu’il s’agissait en l’espèce “d’une seule opération économique, avec trois contrats dont chacun se trouvait de fait lié aux deux autres” et que “l’équilibre et l’exécution des trois contrats supposaient que les deux autres coexistent”, quelles que soient les clauses de prétendue autonomie de chacun de ces contrats. Le prestataire de maintenance n’ayant pas exécuté ses obligations, la Cour a admis la résolution de ce contrat et a, par conséquent, considéré que les contrats d’abonnement et de location financière étaient caducs.
Par un autre arrêt du 30 janvier 2015, la Cour d’appel de Bordeaux a rappelé que “les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants”. En l’espèce, une pharmacie avait conclu un contrat avec un prestataire relatif à la fourniture de matériel avec logiciels et de prestations de services, dont la maintenance et l’accès à une base de données devant être actualisée par le prestataire. Pour financer le projet, la pharmacie avait conclu un contrat de location financière avec une société de crédit-bail. Suite à la liquidation judiciaire du prestataire, les prestations n’étant plus fournies, la pharmacie a assigné le liquidateur du prestataire ainsi que la société de crédit-bail afin de voir résiliés les contrats. La Cour a confirmé le premier jugement en ce qu’il a considéré que la résiliation du contrat avec le prestataire entraînait la résiliation du contrat de location financière.
En sus, dans un arrêt du 4 décembre 2014, la Cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement du Tribunal de commerce qui avait prononcé la nullité d’un contrat de fourniture de matériel téléphonique, pour défaut de consentement en raison de manœuvres dolosives, et la caducité subséquente du contrat de location financière servant à le financer. Selon la Cour d’appel « le contrat de fourniture et le contrat de location financière étaient bien interdépendants puisqu’ils étaient concomitants ». Ainsi, « la nullité du contrat de fourniture entraînait donc bien la caducité du contrat de location financière ».
Enfin, dans un autre arrêt du 4 novembre 2014, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’une société qui avait été condamnée par la Cour d’appel de Paris au règlement de loyers impayés, en application d’un contrat de location financière souscrit pour le financement d’un contrat d’animation publicitaire. En l’espèce, suite à la mise en liquidation judiciaire du prestataire d’animation publicitaire, la cliente avait cessé de payer les loyers au titre du contrat de location financière. La Cour de cassation a rappelé que « lorsque des contrats incluant une location financière sont interdépendants, l’anéantissement du contrat principal est un préalable nécessaire à la caducité (…) du contrat de location » et a confirmé l’arrêt d’appel qui avait relevé qu’en l’espèce la seule « ouverture d’une procédure collective n’entraînait pas la caducité des contrats en cours et que la résiliation du contrat principal ne pouvait être prononcée en l’absence du prestataire dans la cause ».
Il est clair que l’effet principal de l’interdépendance contractuelle tel qu’il apparait à travers ses diverses décisions jurisprudentielles est l’anéantissement du contrat accessoire par l’extinction ou l’annulation du contrat principal. Cependant il faut préciser que le caractère innovateur de la décision de la chambre mixte résulte en le fait qu’il rompt l’un des principes en matière de droit des contrats à savoir la liberté contractuelle.
B- Atteinte au principe de la liberté contractuelle
Il appert de la décision de la chambre mixte que le juge de cassation a rompu avec une partie de la jurisprudence antérieure qui laissait aux juges du fond le soin d’interpréter souverainement la volonté des parties à de telles opérations et qui faisait la part belle à la liberté contractuelle, notamment en rapport avec les clauses de divisibilité insérées à un ensemble contractuel. La Cour de cassation a tranché de façon éloquente en s’appuyant sur une approche résolument objective de l’indivisibilité qui consacre la théorie suivant laquelle plusieurs contrats concourant à la même opération économique sont réputés indivisibles, et même plus, nonobstant toute clause écrite contraire. La volonté des parties est donc, comme on l’a dit, passée sous silence. Mais c’est en réalité plus que cela. Elle est même niée, comme si l’indivisibilité objective la tenait irrémédiablement en échec. On croyait pourtant, à lire la jurisprudence récente de la première chambre civile, qu’au nom de la liberté contractuelle, l’efficacité de la clause de divisibilité, c’est-à-dire « de clauses stipulées dans le contrat de financement qui emportent la divisibilité des contrats du groupe, en dépit de la contradiction qu’elles emportent avec l’économie générale de l’opération qu’incarnaient précisément ces contrats interdépendants »[20], avait été consacrée. Ce n’est plus le cas, à tout le moins lorsque le groupe de contrat inclut un contrat de location financière, puisque, désormais, elles sont « réputées non écrites ». Cette position rejoint en réalité celle adoptée par la chambre commerciale selon laquelle une clause de divisibilité, même claire et précise, est dépourvue d’effet lorsqu’elle a été stipulée en contradiction avec l’économie générale de l’opération pour laquelle les contrats ont été conclus[21]. On peut voir dans la référence, par la chambre mixte, à ce principe purement prétorien de non-contradiction (ou de cohérence contractuelle) le souci de protéger le cocontractant « pivot de l’opération », qui, bien que professionnel, est généralement la partie faible à la relation contractuelle, afin qu’il puisse se délier du contrat de location financière qui a cessé d’être utile pour lui, parce que le contrat de prestation de services qui lui est indissociable a été anéanti. Finalement, c’est sans doute plus sur le sort de la clause de divisibilité contractuelle que sur la conception du critère de l’interdépendance contractuelle que ces arrêts de chambre mixte remplissent de manière totalement convaincante leur office d’harmonisation de la jurisprudence.
On peut ainsi retenir que ce principe dégagé par la jurisprudence est une innovation en ce sens qu’il établit une règle nouvelle qui enfreint la liberté contractuelle des parties. Dans le même esprit, encore très récemment, dans une affaire contrat de location portant sur du matériel de géolocalisation comprenant une prestation de géolocalisation par un prestataire distinct du bailleur, la Chambre Commerciale a réaffirmé, par un arrêt du 14 octobre 2014 (n°13-20.188) le principe suivant lequel ce type de montage procède d’une volonté intrinsèque d’interdépendance, déclarant « que devaient être réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » pour sanctionner l’arrêt de la Cour d’Appel de Rennes.
En effet, alors même que ses arrêts étaient rendus au visa de l’article 1134 du Code civil[22], la Cour rejette l’idée même que, par une clause contractuelle librement consentie par les parties à un montage tel que décrit supra, celle-ci rendent inopérant l’économie de l’opération : on recherchera dès lors à trouver dans la volonté des parties des éléments innomés qui ont été déterminant pour au moins l’un des contractants et qui, après leur disparition ont ruiné l’économie du montage. Un locataire pourra donc opposer ses attentes à ses cocontractants (bailleur, prestataire de services), et ce, nonobstant toute clause de divisibilité insérée aux contrats, celles-ci étant réputées non écrites, se référant à la connaissance de l’économie globale de l’ensemble contractuel non plus qu’à l’expression de la volonté des parties.
[1] Cass. Com., 12 juin 2001, n°98-19.787.
[2] Cass. Com., 5 juin 2007, n°04-20.380.
[3] Civ. 1re, 13 nov. 2008, n°06-12.920.
[4] Civ. 1re, 28 oct. 2010, n°09-68.014.
[5] Cass., Ch. Mixte, 17 mai 2013 (11-22.768) ; Cass., Ch. Mixte, 17 mai 2013 (11-22.927).
[6] L’avant-projet de réforme du droit des obligations Catala propose la création de nouvelles dispositions au Code civil concernant « l’interdépendance de plusieurs contrats réalisant un ensemble » (articles 1172 à 1172-3), prévoyant, entre autres solutions, que « la nullité de l’un des contrats interdépendants autorise les parties aux autres contrats de l’ensemble à se prévaloir de la caducité de ceux-ci ».
[7] Selon la formule de S. Bros [Les contrats interdépendants : actualité et perspectives, D. 2009. Chron. 960, spéc. p. 961], reprise par le communiqué de presse de la Cour de cassation.
[8] Pour reprendre les mots de X. Delpech dans son analyse du 22 mai 2013.
[9] Cass. Com., 19 nov. 2013, n°12-12.008.
[10] Cf. également Cass. Com., 26 nov. 2013, n°12-25.191 ; Cass. Com., 19 nov. 2013, n°12-23.955.
[11] Cass. Com., 7 janv. 2014, n°13-10.887 [16] ; cf. aussi Cass. Com., 14 janv. 2014, n°12-20.582 s’agissant d’un ensemble composé d’un « contrat de location et de prestations de services ».
[12] *Arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 30 janvier 2015 relatif à l’interdépendance contractuelle des opérations incluant une location financière.
*Arrêt de la Cour d’Appel d’Aix en Provence du 2 Avril 2015 relatif à l’interdépendance contractuelle des opérations incluant une location financière.
*Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 17 Avril 2015 traitant de l’impossibilité d’invoquer l’interdépendance des contrats en cas de résiliation aux torts du client.
*Arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation du 7 juillet 2015.
[13] Conditions posées par l’article 1108 du code civil.
[14] Il a été souligné dans l'avis de l'avocat général M. Lafortune sous Ass. Pl. 9 octobre 2006 que "déjà P. Voirin[14] consacrait une chronique à la "contraction des actes envisagée comme procédé de la technique juridique" qui permet, par une convention unique le blocage de plusieurs actes ou opérations séparés, "tels un achat et une donation, conclus simultanément, au lieu d'être étalés dans le temps en vue d'une réalisation successive".
[15] 3ème Civ., 5 juillet 1995 ; Cass. Com., 15 janvier 2002 ; 3ème Civ., 26 mars 2003.
[16] Com. 13 févr. 2007, Dalloz actualité, 7 mars 2007, obs. X. Delpech ; D. 2007. Pan. 2966, obs. S. Amrani Mekki ; RTD civ. 2007. 567, obs. B. Fages ; JCP 2007. II. 10063, note Y.-M. Serinet ; JCP E 2007, n° 23, 1702, obs. M. Vivant, N. Mallet-Poujol et J.-M. Bruguière.
[17] Civ. 1re, 28 oct. 2010, n° 09-68.014, Dalloz actualité, 3 nov. 2010, obs. X. Delpech ; D. 2011. 566, note D. Mazeaud ; ibid. 622, chron. N. Auroy et C. Creton ; JCP 2011. 303, note C. Aubert de Vincennes.
[18] Com., 5 juin 2007, n° 04-20.380.
[19] Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-13.658/ Civ. 1re, 10 sept. 2015, n° 14-17.772
[20] D. Mazeaud, note préc.
[21] Com. 15 févr. 2000, Bull civ. IV, n° 29 ; D. 2000. Somm. 364, obs. P. Delebecque ; RTD civ. 2000. 325, obs. J. Mestre et B. Fages ; JCP 2000. I. 272, obs. A. Constantin ; ibid. E 2001. 320, obs. J.-B. Seube ; Defrénois 2000. 1118, obs. D. Mazeaud ; 24 avr. 2007, n° 06-12.443, RDC 2008. 276, obs. D. Mazeaud.
[22] Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
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